- AUDIT CARRIÈRE INTERVIEWS
- Dorian ZERROUDI
- 6 octobre 2022
Interview avec Nicolas Forissier : auteur de l’Ennemi intérieur
Nicolas Forissier est l’ancien responsable de l’audit interne de la banque UBS dans sa branche française, il y a découvert des « carnets du lait » qui désignent un système d’évasion fiscale de Français vers la Suisse. Il est donc devenu lanceur d’alerte pour dénoncer ce scandale qui a duré presque 10 ans. La banque s’est vue infliger une amende record de 3,7 milliards d’euros en 2019, puis en appel de 1,8 milliard d’euros.
Il raconte son histoire dans son livre « L’ennemi intérieur » qui a d’ailleurs été sélectionné pour le prix de la Transparence et l’Éthique.
Bonjour Nicolas, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Nicolas Forissier, j’ai 53 ans et je suis auditeur interne de formation. Pour cela, j’ai fait un Bac+5 en finance et un master à l’ESCP. Je me suis ensuite tourné dans un cabinet des Big Fives (Arthur Andersen) en tant qu’auditeur externe. J’ai ensuite été coopté par l’un de mes clients (comme souvent) qui était la Credit Bank Luxembourg.
J’y ai vu les premiers dossiers puants de cette banque, avec laquelle j’ai négocié un départ anticipé. C’est en 2001 que je suis rentré chez la banque UBS toujours en audit interne.
Aujourd’hui, je travaille chez une société de gestion d’un grand groupe bancaire en tant que contrôleur interne de sa salle de marché en particulier dans la finance éthique et responsable.
L’audit est l’un des secteurs les plus prisés par les étudiants après une école de commerce, comment peux-tu le définir ?
Tout d’abord, j’encourage les étudiants à commencer par un cabinet d’audit externe, pour apprendre à voir et à ne pas voir. En effet, les cabinets étant soumis aux pressions tarifaires de leurs clients, ils ont tendance à réduire leurs prestations, il y a donc un enjeu économique puissant. Cependant, les Big Four sont aussi tenus d’une obligation légale de dénoncer en interne les faits répréhensibles que j’ai pu dénoncer chez UBS. D’ailleurs, lorsque l’on est en mission d’audit externe, l’accueil du client en dit en long sur la qualité du dossier.
Comment pourrais-tu définir l’audit ?
Selon moi, l’audit est un puits de recherche sans fond. Cela consiste à vérifier que ceux qui se déclarent comme fonction contrôlable sont bien dans le moule ou non, c’est donc savoir qui fait quoi, quand, comment et pourquoi pour déceler les éventuelles failles.
Dans l’audit, les valeurs éthiques et morales sont fortes, faut-il les respecter. Car dans l’audit interne, si l’auditeur est au courant de pratiques répréhensibles de son employeur, tu deviens complice et tu risques une interdiction d’exercer (provisoire ou définitive) et de la prison.
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Comment as-tu été recruté chez UBS et dans ta nouvelle entreprise ?
Dans l’audit, on cherche des personnes expérimentées à la technique de contrôle, avec une vision de gestion, comptable et une connaissance (si possible) des produits financiers dans les banques d’affaires. Ainsi, le but est de pouvoir contrôler le front office et/ou ceux qui vont développer la force commerciale.
Quelles étaient tes missions quotidiennes ?
Dans l’audit externe, je suis constamment chez mes clients, mais en interne étant donné que mes clients sont des filiales j’y suis beaucoup moins, par exemple chez UBS j’étais en moyenne 15 jours par mois à l’extérieur.
Selon toi, qu’est-ce qu’un bon auditeur ?
Un bon auditeur ne doit pas être perçu comme le policier, mais plutôt comme un auditeur d’accompagnement, le but étant de déterminer des axes d’amélioration. J’ai été formé ainsi par Arthur Andersen. De plus, cela permet de décrocher d’autres missions d’accompagnement (donc du chiffre d’affaires en plus). Ensuite, il faut être prêt à se dévouer complètement, être rigoureux, savoir respecter des budgets, des délais et surtout être honnête.
Qu’est-ce qui te plaît dans l’audit ?
C’est un des rares métiers dans lequel tu ne sais jamais sur quoi tu vas tomber. C’est un renouvellement perpétuel et un mouvement perpétuel. La preuve, quand j’ai commencé chez Arthur Andersen, je suis resté 4 ans et ils ont fermé peu de temps après à cause du scandale Enron. Ensuite, je suis allé chez la Credit Bank Luxembourg qui a eu des problèmes après la destitution de Gorbatchev vis-à-vis des avoirs russes. Enfin, j’arrive chez UBS chez qui je découvre le scandale d’évasion fiscale.
Depuis 1996, je n’ai jamais connu un moment calme dans ce métier, mais c’est aussi ce qui fait la beauté de ce métier.
Ton livre (L’ennemi intérieur) raconte ton histoire de lanceur d’alerte, penses-tu qu’aujourd’hui la situation a évolué ?
J’ai mis en avant dans la rédaction de cette loi (la loi Sapin II) qu’il était fondamental pour protéger les métiers de l’audit qu’il fallait garantir l’anonymat des lanceurs d’alertes. Car dans mon cas, lorsque j’ai lancé l’alerte, la loi de l’époque ne protégeait pas mon anonymat. Ensuite, j’ai insisté pour que le lanceur d’alerte, en fonction de l’urgence puisse avoir recours à la justice externe. Cependant, la Commission Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) protège l’entreprise si le lanceur d’alerte touche au cœur du business modèle de l’entreprise. D’autre part il y aussi la Comparution avec Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC) qui permet à une société de plaider coupable contre une amende pour limiter son exposition publique.
Dans ton livre, on se plonge dans ton combat contre la banque UBS, on y apprend qu’on a t’a menacé, pourquoi avoir continué ?
Je lutte contre une maladie incurable et je sais donc ce que c’est que de combattre un ennemi intérieur. C’est devenu ma meilleure ennemie ou ma moins bonne amie selon les moments. C’est l’erreur fondamentale d’UBS que de ne pas avoir su que je luttais contre plus fort qu’elle. Ensuite étant fils d’une mère professeur et d’un père militaire, j’ai été élevé dans les valeurs de la République et dans l’intérêt général. Je n’ai pas oublié d’où je venais et ne me voyais pas trahir cette éducation ni ma famille. L’évasion fiscale a des répercussions sur toute l’économie et je ne pouvais pas fermer les yeux sur ça.
Enfin, as-tu des projets futurs ?
J’en ai pleins, je compte me lancer en politique et montrer que l’honnêteté existe toujours. J’ai envie de changer la donne en reprenant les valeurs de la 5ème république pour remettre sur le premier plan les notions de valeur, de loi, d’ordre et de respect.
Enfin, je terminerai cette interview par ma maxime : Avoir des valeurs, c’est bien les respecter, c’est mieux.