
- ENTREPRENEURIAT
- Auriane Ducherpozat
- 21 juin 2025
Les écoles forment-elles vraiment à l’entrepreneuriat ?
Créer sa boîte. Lancer un projet à impact. Être libre, innovant, agile. L’entrepreneuriat fait rêver de plus en plus d’étudiants, au point que certaines écoles de commerce en ont fait leur argument de vente n°1. Mais derrière les incubateurs flamboyants, les bootcamps, les concours de pitch et les témoignages d’anciens, une question se pose : les écoles forment-elles réellement à l’entrepreneuriat ? Ou se contentent-elles d’en reproduire les codes, sans en transmettre les fondements ?
Un engouement réel pour l’entrepreneuriat
Aujourd’hui, aucune grande école ne peut ignorer l’engouement croissant pour l’entrepreneuriat. Selon une étude du Ministère Chargé de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 5 843 étudiants bénéficient du SNEE (statut Statut National d’Étudiant-Entrepreneur) en 2023-2024.
Ainsi, comme conséquence logique, l’offre pédagogique s’est étoffée. Cours de création d’entreprise, doubles diplômes avec des écoles d’ingénieurs, incubateurs internes, fablabs, hackathons, rencontres avec des fondateurs… Les dispositifs se multiplient.
Certaines écoles se sont même spécialisées dans l’entrepreneuriat. Par exemple l’EMLyon revendique un slogan “early maker”, en outre l’EDHEC et HEC ont créé leur propre incubateur à Station F.
Mais derrière cette vitrine séduisante, qu’en est-il réellement de la formation à l’entrepreneuriat ?
Apprendre à entreprendre… dans une salle de classe ?
C’est là que réside le paradoxe. L’entrepreneuriat est, par essence, un apprentissage empirique, basé sur l’échec, la prise de risque, l’itération. Or, les écoles restent des institutions normées, où la réussite se mesure encore souvent à travers des examens, des classements, des notes.
Peut-on vraiment apprendre à entreprendre dans un cadre académique ? C’est toute la limite du système. Proposer des business plans PowerPoint sans jamais confronter l’idée au marché, simuler des levées de fonds sans démarcher d’investisseurs, faire des “projets entrepreneuriaux”… notés sur 20.
Cela ne signifie pas que l’enseignement n’a pas sa place. Bien au contraire, il est essentiel de comprendre la structuration juridique, les mécanismes de financement, la stratégie de croissance, le marketing digital. Mais la connaissance seule ne fait pas l’entrepreneur.
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Un écosystème favorable… pour les bons profils
Ce qui fait la différence aujourd’hui dans une école, ce n’est pas tant le cours théorique que l’accès à un écosystème : incubateurs, alumni entrepreneurs, fonds, concours, espaces de coworking, mentorat. Et là, toutes les écoles ne se valent pas.
Les plus prestigieuses offrent un réseau puissant, souvent plus important que le contenu des cours eux-mêmes. Un projet incubé à Station F bénéficie d’une visibilité, d’un accompagnement et d’un carnet d’adresses incomparables. Mais ces ressources sont généralement accessibles à des profils déjà bien armés : bon dossier, pitch maîtrisé, réseau solide.
Pour les autres, la promesse d’accompagnement entrepreneurial reste parfois plus symbolique que réelle. Le parcours du combattant reste le même qu’en dehors des écoles : trouver des financements, recruter, affronter la solitude du porteur de projet, pivoter au bon moment.
Des réussites qui inspirent… mais masquent la réalité
Sur les brochures des écoles, les portraits d’anciens créateurs de startups à succès sont devenus incontournables. Et pour cause, ils incarnent l’agilité, la réussite, l’esprit d’innovation que les jeunes recherchent.
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Mais ces success stories ne racontent pas tout. Elles masquent souvent le fait que l’écrasante majorité des projets étudiants n’aboutit pas ou reste à un stade embryonnaire. Ce n’est pas un échec en soi – entreprendre, c’est aussi échouer – mais cela remet en perspective la prétendue “efficacité” des formations.
En réalité, les écoles forment bien à l’envie d’entreprendre, à l’attitude entrepreneuriale, mais peu à la résilience, à l’incertitude, à l’échec. Or, ce sont souvent ces dimensions qui font la différence entre un projet et une entreprise pérenne.
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Vers un nouveau modèle de formation ?
Les choses changent. De plus en plus d’écoles remettent en question le modèle académique classique pour proposer des approches plus pratiques : pédagogie par projet, mentorat, immersions dans des startups, stages de césure en création d’entreprise.
Certaines vont plus loin. L’ESCP, par exemple, propose un master spécialisé 100 % entrepreneurial, le Digital Innovation and Entrepreneurial Leadership (EMDIEL), avec un semestre à San Francisco. L’EM Normandie a lancé un programme “incubation + entrepreneuriat social”. D’autres écoles soutiennent les étudiants qui choisissent de transformer leur stage de fin d’études en période de lancement de leur startup.
Ces dispositifs ont le mérite de faire tomber les barrières entre études et projet personnel. Ils prennent acte du fait que l’entrepreneuriat ne s’enseigne pas comme une matière, mais se vit comme une expérience.
Ainsi, l’entrepreneuriat reste avant tout une démarche individuelle, parfois solitaire, toujours risquée. C’est un chemin personnel qui nécessite courage, intuition, capacité d’adaptation – qualités que l’on peut nourrir en école, mais rarement enseigner.
Les écoles sont donc un tremplin, pas une garantie. Elles peuvent créer des déclics, encourager des vocations, offrir un premier terrain d’essai. À chacun ensuite de transformer l’essai. Car entreprendre, ce n’est pas suivre une voie toute tracée, c’est en inventer une.