- CARRIÈRE INTERVIEWS SPORT
- Matthieu Castagnos
- 13 septembre 2023
Interview de Luka Elsner, entraîneur de l’équipe du Havre AC
Dans cet article vous découvrirez le témoignage passionnant de Luka Elsner, entraineur de l’équipe professionnelle du Havre AC en ligue 1.
Pouvez-vous présenter et revenir succinctement sur votre parcours professionnel ?
Bonjour, je suis Luka Elsner, actuellement en poste en tant qu’entraîneur du Havre Athletic Club, un club de football évoluant en Ligue 1. J’ai assumé cette responsabilité depuis juin 2022. Bien que je sois originaire de Slovénie, j’ai passé la majeure partie de ma vie en France jusqu’à l’âge de 22 ans. J’ai obtenu ma maîtrise en entraînement sportif à l’université de Nice – Sophia Antipolis.
Après l’obtention de mon diplôme, j’ai entamé ma carrière dans le sport en tant que joueur professionnel, évoluant principalement dans le championnat slovène pendant près d’une décennie. J’ai également joué une saison en Autriche, une saison au Bahreïn, avant de décider de mettre un terme à ma carrière de joueur à l’âge de 31 ans afin de me concentrer sur une carrière d’entraîneur.
J’ai ainsi commencé en tant qu’entraîneur adjoint à l’âge de 31 ans au sein d’une équipe en professionnelle en Slovénie. Ensuite, environ un an et demi plus tard, j’ai pris les rênes de l’équipe en tant qu’entraîneur principal. Ma carrière d’entraîneur m’a conduit à travailler en Slovénie, à Chypre, en Belgique, puis en France, à Amiens et actuellement au Havre.
Pouvez-vous nous présenter les missions d’un entraineur de club de foot en ligue 1. Où commence votre rôle et où se termine – t – il ?
Les responsabilités d’un entraîneur de football en Ligue 1 se résument à préparer l’équipe professionnelle pour qu’elle atteigne les résultats correspondant aux objectifs fixés par le club. Ces objectifs peuvent varier en fonction des clubs et des saisons. Par exemple, l’année dernière, l’objectif était de passer de la Ligue 2 à la Ligue 1, tandis que cette année, il s’agit de stabiliser le club et de le maintenir en première division.
Nos performances sont strictement mesurées en fonction des résultats, bien que je reste convaincu que le contenu, les processus et le travail systématique peuvent garantir des résultats stables à long terme. Chaque semaine, nous faisons une évaluation hebdomadaire, ce qui peut générer du stress et de la tension dans notre approche du travail.
Nous avons également pour mission de développer le potentiel du club, en aidant les jeunes joueurs à progresser et à créer de la valeur, tant sur le plan sportif que sur le marché des transferts.
Je n’ai pas un rôle de gestionnaire, et je suis peu impliqué dans le recrutement. Mon rôle se limite à donner mon avis en tant que consultant, sans avoir un pouvoir décisionnaire.
Je constate une véritable évolution dans le monde du football, où les entraîneurs se concentrent de plus en plus sur le terrain plutôt que sur la gestion des effectifs.
Comment avez-vous décidé de faire la transition de joueur professionnel à entraîneur de football, et quelles ont été les principales motivations derrière ce choix de carrière ?
J’ai opté pour la transition de joueur professionnel à entraîneur principalement parce que j’avais l’impression d’avoir exploré toutes les facettes de ma carrière de joueur. Après plus de 8 saisons dans le championnat slovène, au cours desquelles j’ai remporté quelques titres, les matchs avaient commencé à se sentir routiniers. J’ai atteint ce que je considérais comme le sommet de mes compétences et de mon potentiel en tant que joueur. Parallèlement, ma passion pour l’entraînement, qui était présente depuis longtemps, n’a jamais cessé de croître.
La décision de devenir entraîneur s’est concrétisée lorsque le directeur sportif de mon club m’a offert l’opportunité de faire le saut. Cette décision n’a pas été prise à la légère. J’avais seulement 24 heures pour prendre ma décision. Passer de joueur de football professionnel à entraîneur représente un changement radical, car les deux rôles sont très différents.
Malgré ces défis, je n’ai aucun regret. J’avais le désir de commencer ma carrière d’entraîneur tôt, d’acquérir de nouvelles expériences et de me préparer activement à prendre en charge une équipe à un âge relativement jeune.
Avez-vous été influencé par des entraîneurs ou des mentors en particulier qui ont joué un rôle significatif dans le développement de votre propre philosophie de gestion et de coaching ?
Mes mentors principaux proviennent de mon propre cercle familial. Mon grand-père était un entraîneur renommé en Slovénie et a même réussi à faire carrière à l’international en devenant sélectionneur de l’équipe nationale autrichienne à plusieurs reprises. Son influence a été déterminante dans la structuration et l’organisation de la fédération slovène de football. Il m’a inculqué l’idée que l’entraînement doit être un processus structuré, intégrant des méthodes pour optimiser la performance.
Mon père, lui aussi, a joué un rôle majeur dans mon développement. Il avait une approche plus créative et romantique du football. J’ai eu la chance de bénéficier de ces deux perspectives quasiment au quotidien, ce qui m’a permis d’acquérir des connaissances, d’affiner ma vision du jeu et de développer mon esprit critique.
En plus de ces influences familiales, j’ai toujours puisé de l’inspiration chez d’autres figures du football contemporain, telles que Diego Simeone à une époque et, encore aujourd’hui, Pep Guardiola. Je crois fermement en l’unicité de chaque individu et en l’importance de respecter nos inclinations naturelles. Plutôt que de simplement copier des modèles, je préconise l’extraction d’idées pertinentes pour construire une approche qui nous est propre.
Pourriez-vous nous faire part d’une expérience marquante en tant qu’entraîneur qui a eu un impact significatif sur votre carrière et qui a contribué à façonner votre approche actuelle du métier ?
L’une des expériences les plus difficiles de ma carrière d’entraîneur a été lorsque, au début de ma deuxième ou troisième saison, j’ai dû prendre la décision de me séparer d’un joueur qui était le capitaine de l’équipe. Ce joueur avait une grande importance dans l’histoire du club, avec un charisme marqué, et nous avions une bonne relation, d’abord en tant que coéquipiers, puis en tant qu’entraîneur.
Cette situation m’a marqué parce qu’elle m’a confronté à un dilemme entre l’aspect émotionnel et les performances pures de l’équipe. Prendre cette décision a été difficile, car elle met en lumière l’un des aspects les plus délicats de notre métier, à savoir séparer les émotions personnelles des impératifs de performance de l’équipe. Il faut constamment privilégier l’intérêt général par rapport à l’intérêt individuel.
Rencontrer le joueur dans mon bureau, lui annoncer la décision de sa séparation, et même expliquer cette décision, même si son oreille n’était peut-être plus attentive, a eu un impact significatif. Cela m’a révélé la complexité de ce travail.
Comment avez-vous réussi à gérer les variations culturelles et tactiques en travaillant dans plusieurs clubs en Europe, notamment en Slovénie, à Chypre, en Belgique et en France, et comment avez-vous adapté votre approche à ces différents contextes ?
Effectivement, j’ai eu l’opportunité d’entraîner dans plusieurs pays différents. Mon parcours m’a permis de vivre dans divers pays, comme la Serbie et l’Autriche, en raison du métier de mon père qui était footballeur. Cette expérience m’a appris à m’adapter rapidement et à trouver ma place dans les différents postes que j’ai occupés.
L’aptitude à s’adapter est cruciale dans ce métier, car on peut arriver avec des idées préconçues qui ne correspondent pas toujours à la réalité. J’ai toujours considéré ces expériences comme des opportunités d’apprentissage et de croissance personnelle. Par exemple, mon passage à Chypre a été un défi car j’ai dû reconstruire pratiquement tout, des infrastructures à l’effectif de l’équipe. Cependant, cette expérience m’a énormément formé, car elle m’a permis d’acquérir une expertise globale en performance dans tous les aspects du club.
Chaque pays a sa propre approche du football, sa culture de club distincte, et il est essentiel de respecter et de valoriser ces différences pour en faire une force. Dans des clubs profondément enracinés dans leur culture, on ressent souvent que les joueurs sont davantage orientés vers le projet collectif que vers des objectifs individuels.
Comment gérés-vous toutes ces transitions entre les différents clubs ?
En ce qui concerne les transitions entre différents clubs, je dirais que c’est un peu comme dans la vie en général. Les premières fois sont toujours les plus difficiles, remplies de doutes, mais avec l’expérience, on apprend à s’ajuster plus rapidement. Je pense qu’il est essentiel d’obtenir rapidement les avis de l’équipe technique et médicale pour s’entourer des bonnes personnes et mettre en place les processus de travail nécessaires. Une fois que ces bases sont établies avec compétence et harmonie, il est plus facile de créer les conditions favorables à la performance des joueurs.
La communication joue un rôle crucial dans ce processus. Il est essentiel de transmettre clairement les idées en utilisant la terminologie appropriée pour que la transition de la théorie à la pratique se déroule en douceur.
L’adaptation est également importante sur le plan personnel, car la vie personnelle ne doit pas empiéter sur la carrière professionnelle et les résultats du club. Il y a en réalité une double adaptation à gérer.
Mon parcours m’a conduit à changer de club presque chaque saison au cours des cinq dernières années, et je dois dire que ce n’est pas une tâche facile. On n’a jamais vraiment le temps de s’installer, que ce soit sur le plan professionnel ou personnel.s
Pouvez-vous expliquer comment vous gérez les relations personnelles avec les joueurs, et comment parvenez-vous à maintenir un équilibre approprié entre proximité et autorité en tant qu’entraîneur ?
Ma perception de la relation entre les joueurs et moi, en tant qu’entraîneur, a évolué au fil du temps. Au début, surtout pendant ma jeunesse, j’ai commis l’erreur, bien que compréhensible, de penser qu’il était nécessaire de maintenir une certaine distance entre moi et le groupe pour qu’ils comprennent que la prise de décision était de mon ressort. A noter que ces joueurs étaient quelques mois avant mes coéquipiers. En conséquence, mes relations avec les joueurs étaient plutôt strictes, empreintes d’exigence et d’attention aux détails.
Cette approche s’est avérée être une erreur, mais on apprend de ses erreurs avec le temps. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus détendu et j’ai trouvé un équilibre sain entre les moments où nous sommes sur le terrain, où une certaine autorité est nécessaire, et les moments de détente où je peux être plus décontracté. Après tout, c’est une aventure humaine partagée. Nous passons beaucoup de temps ensemble, je pense que des moments de détente, parfois teintés d’humour, sont essentiels.
Cependant, je m’efforce toujours de rappeler aux joueurs que, malgré ces moments agréables, je reste le décideur ultime dans l’intérêt général du groupe.
Quelle est votre plus grande source de fierté dans votre carrière, que ce soit en tant que joueur professionnel ou en tant qu’entraîneur ?
En tant que joueur, ma plus grande fierté a été de commencer ma carrière dans le milieu amateur en France. À l’époque, je me concentrais sur mes études car je ne pensais pas avoir le talent ni les compétences pour devenir joueur professionnel. Cependant, à l’âge de 23 ans, j’ai saisi l’opportunité de devenir professionnel avec une grande passion. Passer du milieu amateur à jouer pour l’équipe nationale slovène a été une immense fierté pour moi.
En tant qu’entraîneur, je suis particulièrement fier d’avoir réussi à faire remonter l’équipe du Havre en Ligue 1. Cela s’est fait avec un budget de milieu de tableau en Ligue 2 et en très peu de temps. Je suis arrivé le 23 juin 2022, et dès le 26 juin, nous reprenions les entraînements.
Enfin une des plus grandes fiertés a été aussi de ramener un engouement du public, de voir à nouveau les gens venir au stade avec plaisir.
Comment faites-vous face à la pression et aux attentes qui sont souvent associées au rôle d’entraîneur, notamment dans des ligues très compétitives telles que la Ligue 1 ?
Je gère la pression de manière efficace grâce à plusieurs facteurs. Tout d’abord, j’ai des exigences personnelles très élevées, parfois même un peu trop élevées, ce qui peut me rendre un peu pessimiste. Cependant, je me détache de plus en plus des attentes qui sont souvent associées au rôle d’entraîneur. Il y a une part aléatoire dans les influences qui déterminent le résultat final d’un projet. Par conséquent, je me concentre uniquement sur ce que je peux maîtriser, en m’efforçant de maintenir des standards élevés.
De plus, j’adopte une approche au jour le jour, match par match. Cela me permet de me concentrer sur des objectifs à court terme, ce qui, à mon avis, a plus de sens. Il est inutile de craindre l’avenir. Avec l’expérience, je relativise plus facilement et n’attache pas autant d’importance à certaines défaites et à la pression, comparé à mes débuts en tant qu’entraîneur.
Une qualité essentielle dans ce métier est la capacité à rebondir et à se régénérer, que ce soit après une défaite ou une victoire. Il est crucial de tirer des leçons de chaque expérience et de repartir avec une nouvelle énergie.
Enfin, je maintiens une présence limitée sur les réseaux sociaux et je prends mes distances par rapport aux commentaires du grand public. Cela me permet de rester concentré sur mon travail sans être perturbé par les opinions extérieures.
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Pour conclure, pouvez-vous nous parler de vos objectifs à court et moyen terme en tant qu’entraîneur du Havre AC ?
En ce qui concerne nos objectifs, notre priorité absolue est de stabiliser le club en ligue 1. Nous visons à établir des bases solides qui nous permettront de croître, de nous structurer et de garantir la pérennité du Havre en ligue 1.
Quant au moyen terme, il est un peu difficile à définir dans le monde du football. Les choses évoluent rapidement. Plus on planifie, moins on la capacité de s’adapter quand les changements arrivent.
Un grand merci à Luka Elsner pour cette interview