
- INTERVIEWS RSE & DD
Téo Perrin
- 15 mai 2023
Féris Barkat : l’étoile montante de la lutte pour le climat
Il y a parfois des destins qui se refusent à rester les bras croisés, des personnes qui s’engagent et tentent de faire bouger les lignes. Féris fait partie de ces personnes. Jeune, engagé et révolté d’un monde qui semble tourner à l’envers.
Depuis plusieurs années, il s’est donné une mission : informer le plus grand nombre, et particulièrement les plus jeunes de nos banlieues, aux enjeux de la transition environnementale. Ce jeune militant prône une écologie émancipatrice. Celle qui fonde un destin commun et qui combat les inégalités sociales d’aujourd’hui. Une écologie qui ne stigmatise pas, mais qui croit dans l’intelligence commune. Rencontre avec Féris :
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Salut Féris, est-ce que tu pourrais te présenter brièvement ?
Je m’appelle Féris Barkat, j’ai 20 ans et je suis originaire de Strasbourg. J’ai arrêté cette année mes études à la London School of Economics (LSE) pour me concentrer à 100% sur la formation aux enjeux du développement durable. J’ai notamment créé une association, Banlieues Climat, et je développe du contenu sur les réseaux pour sensibiliser le plus grand nombre et vulgariser les enjeux climatiques. Récemment, je me suis lancé dans le slam pour essayer de mobiliser encore plus de monde au travers d’un autre format.
Tu as fondé Banlieues Climat, pourquoi les enjeux de la transition environnementale sont reliés aux défis sociaux selon toi ?
Dans les faits, les deux restent intiment liés. Il y a ce que j’appelle la « vulnérabilité connectée ». Si je prends l’exemple de la canicule de 2003, sur les 15 000 morts recensés, les principaux foyers de décès sont localisés dans des banlieues. Tout simplement parce que les foyers de ces zones ont moins de revenus, donc des logements moins isolés, un mode de vie moins sain… C’est un cercle vicieux. Entendons-nous bien, par ‘banlieues’ j’entends les périphéries des villes évidemment, mais aussi les zones rurales qui font face à des défis climatiques majeurs – les sécheresses en sont l’exemple le plus criant.
Par ailleurs, les banlieues concentrent des usines et des lieux de production d’émissions néfastes : autoroutes, incinérateurs de déchets… Les populations vivant à proximité de ces lieux sont les premières touchées. C’est ça le concept de vulnérabilité connectée : le lien entre la vulnérabilité économique et la vulnérabilité environnementale.
Evidemment, je ne dis pas que les villes sont épargnées, mais la population qui y vit est généralement plus aisée, ce qui la rend implicitement moins vulnérable.
Quelles sont vos principales actions avec Banlieues Climat ?
C’est d’abord le combat d’un préjugé. Beaucoup de discours entretiennent l’idée que les plus précaires ne s’intéressent pas aux enjeux du développement durable, car ces derniers auraient d’autres préoccupations et centres d’intérêt. C’est faux. Ces enjeux les concernent comme ils concernent les moins précaires. Avec le climat, nous sommes tous dans le même bateau.
Ensuite, on tente de combattre une nouvelle inégalité qui surgit avec la transition environnementale : l’inégalité d’éducation. Aujourd’hui, l’accès à la connaissance et à l’information sur les enjeux du développement durable est facilité dans les grandes écoles. Nombre d’entre elles ont d’ailleurs développé des masters et des parcours en lien avec la transition environnementale.
Dans d’autres formations, plus techniques pour la plupart, il y a un vrai déficit d’information. Ces enjeux sont souvent totalement omis. Il se crée ainsi un écart informationnel.
Avec Banlieues Climat, nous intervenons auprès des 16-25 ans afin de leur donner accès à un contenu scientifique et à des connaissances solides. On pourrait dire que l’idée est de leur apporter un rapport un GIEC adapté. Nous intervenons principalement dans différentes banlieues avec l’idée de montrer à ces jeunes qu’ils sont légitimes pour s’intéresser au sujet du climat.
Quel est le format des ateliers que vous donnez à ces jeunes ?
Notre formation dure 8 à 10 heures et se concentre sur la pédagogie. Nous nous efforçons à utiliser des références collectives, des noms d’artistes, de films que les jeunes connaissent. C’est important d’avoir une pédagogie adaptée au public. Aussi, nous tentons de leur montrer que le dérèglement climatique les concerne au premier plan. Nous ne venons pas parler d’ours polaires ou d’étoiles de mer, mais plutôt de leur vie à eux. Je crois que c’est un levier important pour réussir à toucher chacun. Il me semble important de rendre chaque citoyen acteur de notre futur.
En parallèle des ateliers, nous tentons également de lancer des grands projets pour mobiliser ces jeunes : ils pourront devenir animateurs pour Banlieues Climat dans les années à venir et nous mettons en place différentes mobilisations.
Constates-tu des inégalités d’information lors de vos ateliers ?
J’ai en tête un exemple récent qui montre l’importance de notre action : il y a trois semaines, je suis allé dans une école privée dans le centre Paris pour animer une formation. J’ai été choqué de l’écart d’information et de réflexion entre les enfants de cette école et ceux des autres classes dans lesquelles j’ai pu intervenir. Ils avaient le même âge et pourtant la plupart connaissaient déjà les conséquences des émissions de CO2, avaient une réflexion sur les problèmes liés à la sécheresse… Je suis ressorti de cette classe en me disant « ah ouais, il y a vraiment du travail ».
Pourquoi as-tu décidé de t’intéresser à l’écologie ?
En réalité, le sujet est venu assez naturellement et de manière progressive chez moi. Je crois que tout remonte à un cours de philo en terminale. On a eu un cours sur le progrès. J’ai assez vite compris que la notion de progrès d’aujourd’hui était discutable, comportait des nuances. Par la suite, je me suis renseigné et j’ai travaillé de mon côté. Je me suis mis également à écrire des articles, par exemple sur la justice environnementale.
Il faut aussi dire que j’ai eu des sources d’inspiration : des personnes comme Jean Baptiste Fressoz, ou des initiatives comme le Campus de la transition ou le Schumacher College en Angleterre. En créant des lieux de vie, ces initiatives montrent la nécessité de développer une relation holistique à la connaissance.
Pour toi, les grandes écoles abordent-elles correctement les enjeux de la transition environnementale aujourd’hui ?
Personnellement, je n’ai connu que le système britannique, néanmoins des rencontres que j’ai pu avoir au travers de Banlieues Climat, je crois que l’on peut dire que les étudiants français ont une vraie envie de se mobiliser autour de ces enjeux. Je trouve qu’il y a une sensibilité au développement durable et des initiatives qui naissent un peu partout.
Il y a eu un travail de fond initié par des personnalités comme Jean- Marc Jancovici, Valérie Masson-Delmotte ou Aurélien Barreau qui ont donné de nombreuses conférences dans les grandes écoles françaises. Un travail de conscientisation a été mené depuis plusieurs années.
Cependant, la route est encore longue. Il y a quelques semaines, je suis allé dans une école de commerce à Bordeaux, car une association m’y avait invité. Je me suis retrouvé face aux étudiants les plus engagés de l’école : les respos RSE de chaque asso et les membres de l’association de transition… J’ai trouvé leur niveau de connaissances inquiétant, il y avait assez peu d’inquiétudes et une confiance envers le techno solutionnisme assez troublante. Je crois qu’il y a un tournant que les étudiants doivent saisir.
De manière plus générale, on peut remarquer une disparité entre des universités ancrées dans un ancien modèle et d’autres plus avancées, notamment les écoles en sciences sociales et politiques.
Tu as étudié en Angleterre, est-on plus avancé là-bas ?
J’avais la chance d’être à la LSE, une école dans laquelle les travaux de recherche scientifiques sur le DD sont avant-gardistes. Cependant, force est de constater que le niveau de sensibilisation des étudiants était assez peu poussé. La politique de l’université était très éloignée d’une sensibilisation responsable et d’une intégration de ces enjeux dans nos cours. Typiquement, dans la French Society (l’association des étudiants français), j’étais le seul à m’intéresser à la transition environnementale. C’est d’ailleurs, sans doute, un des facteurs qui m’a poussé à quitter cette formation. Je ne me sentais pas à ma place.
Pour toi, quelles sont les 3 grandes mesures que nous devrions tous adopter immédiatement ?
Je ne fais pas partie des personnes qui stigmatisent ou qui critiquent les modes de vie de chacun. Je préfère informer sur les conséquences environnementales de chaque action : les émissions émises lors d’un vol en avion, la manière de produire de l’hydrogène et les répercussions associées… Par la suite, chacun est capable de se faire son avis.
Pour moi, la responsabilité des actions individuelles vient de l’enseignement et de la compréhension des enjeux qui y sont associés. De manière directe, lorsque quelqu’un comprend les conséquences d’un de ses comportements, il est poussé à le modifier pour être le plus responsable possible.
Néanmoins, si je devais donner 3 mesures, je dirais : se former, se former et se former.
Quels sont tes objectifs à court et moyen terme avec Banlieues Climat ?
Evidemment, notre envie principale est de développer une prise de conscience la plus large possible partout en France. Mais si je devais te donner trois objectifs, je dirais :
Réussir à essaimer nos formations partout en France.
Obtenir une certification d’Etat afin que les jeunes puissent ressortir avec un diplôme reconnu.
Rassembler tous les jeunes formés autour d’un projet commun. Nous sommes actuellement en train de développer un grand plaidoyer sur le vélo, l’idée serait de répliquer ce genre de projets.
A titre personnel, tu te vois où dans les années à venir ?
Je dois t’avouer que j’avance au jour le jour et en fonction des opportunités qui se présentent à moi. Aujourd’hui, je vis des conférences que je donne. J’aimerais bien retourner vers la création de contenu, c’est une activité qui me manque. Je crois notamment que la vulgarisation des enjeux sur les réseaux est très importante. Il y a sans doute quelque chose à faire autour d’un format plus long avec des influenceurs et des experts.
Plus récemment, je me suis lancé dans le slam. Je me projette plutôt dans un milieu créatif et artistique dans les années à venir.
Un mot pour la fin ?
Je crois, intimement, qu’il faut éviter les solutions faciles. La réponse au dérèglement climatique doit être une philosophie de vie. Il est temps qu’on réalise que l’histoire s’écrit devant nous et que nous pouvons être acteur de ce changement. Le moment est crucial. Je parle d’ailleurs beaucoup de « génération miracle », car nous pouvons tout changer. Nous pouvons provoquer un vrai miracle en devenant acteurs dans la transition et plus responsable envers notre planète.
Il ne faut pas nier la part de tragique de notre époque, mais il ne faut pas qu’elle annihile notre action pour autant. Le système arrive à bout de souffle – 6 limites planétaires dépassées en 2023 -, mais il faut que nous trouvions la motivation pour faire, se mobiliser et surtout s’informer.
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