Interview de Jonathan Siboni – Fondateur et CEO de Luxurynsight

Interview de Jonathan Siboni – Fondateur et CEO de Luxurynsight

Nous avons interviewé Jonathan Siboni, alumni de l’ESSEC, fondateur et CEO de Luxurynsight. 

 

Pouvez-vous vous présenter et revenir sur votre parcours ? 

Je suis Jonathan Siboni, fondateur et CEO de Luxurynsight, une société de data intelligence spécialisée dans l’industrie du luxe. J’ai fait mes études supérieures sur les bancs de l’ESSEC, en parallèle j’ai également étudié en master d’histoire à la Sorbonne et en master en Affaires Internationales à Sciences Po. Ce que j’ai beaucoup aimé en Grande École, c’était la dimension très professionnalisante permettant de construire une compréhension des enjeux financiers, marketing et juridiques. Ce qui m’a passionné à Sciences Po était d’ajouter en complément une vision un peu plus macroscopique et internationale de certaines problématiques, tout en permettant parfois de bénéficier aussi d’une vision micro-culturelle et spécifique de certains marchés, comme le marché chinois qui m’intéressait déjà beaucoup à l’époque. Je suis parti en Chine en fin de dernière année et n’ai jamais cessé de travailler ces quinze dernières années avec ce pays. J’y ai créé deux sociétés avant de fonder Luxurynsight en 2011

 

Pourquoi avez-vous fait ce choix de vous lancer dans l’entrepreneuriat ?

Je pense qu’il n’y a pas de corrélation ou de décorrélation entre faire une Grande École et devenir entrepreneur. Une Grande École permet facilement d’intégrer un grand groupe et il ne faut pas voir l’entrepreneuriat comme une voie faite uniquement pour ceux qui n’ont pas de place dans les grandes entreprises, et inversement. Du reste, c’est de moins en moins vrai aujourd’hui. Ça l’était un peu plus quand j’ai créé ma boîte puisqu’il y avait beaucoup moins d’entrepreneurs issus des Grandes Écoles qu’aujourd’hui. 

En ce qui me concerne, je pense avoir toujours eu une curiosité business très marquée et quasi insatiable, qui me pousse perpétuellement à rechercher la solution business à un problème. De fait, quand je vois un problème chez un client dans le business de manière générale, j’essaye de trouver quelle solution il peut y avoir. Si cette solution existe, c’est très bien et je pense d’ailleurs, qu’il ne faut pas essayer de se battre contre quelque chose qui existe et qui fonctionne bien. En revanche, si elle n’existe pas mais qu’elle me semble évidente ou en tout cas nécessaire, j’éprouve cette forme de pulsion systématique qui m’oblige à créer cette solution. Ce n’est pas tant que je sois né entrepreneur et que j’ai cherché une idée pour être entrepreneur. C’est le besoin récurrent de trouver des solutions et de se dire « qu’est-ce qu’on pourrait imaginer de mieux, ou de différent, pour mieux travailler » qui m’a amené à créer des entreprises.

Dès 2006-2007 quand j’étais étudiant, le potentiel de la Chine me paraissait extraordinaire. Je me suis dit « je vais aider des entreprises françaises qui se développent en Chine ». Puis, quelques années plus tard, ça a été des entreprises françaises qui voulaient ouvrir des boutiques en Chine parce que le marché s’ouvrait. Et, encore quelques années plus tard, je me suis dit « les marques de luxe qui se développent en Chine ont d’autres besoins que simplement vendre, elles ont besoin de comprendre pour décider où aller ». Or, pour comprendre, ce qui leur manque c’est de la data : Luxurynsight était ainsi né.

Ce besoin de comprendre est toujours aussi vrai, avec de nouvelles opportunités tout aussi colossales, par exemple dans la second-hand, le pre-owned, le pre-loved. Et, je trouvais pour le moins étonnant, que les marques ne se soient pas saisies de cette opportunité extraordinaire. Ne voyant pas de solution répondant à ces besoins de compréhension et de maîtrise en temps réel d’informations précieuses pour les marques, Luxurynsight a développé plusieurs plateformes de monitoring. Ce type de plateformes permet d’apporter aux marques une meilleure vision de leur potentiel de développement et d’expansion, avec des données extrêmement granulaires, adaptées à leurs univers de marque et leurs market footprints. À titre illustratif, pour répondre aux besoins de monitoring des activités de second hand (qui représente un enjeu croissant pour les marques), un de nos produits –  LY Resale – a ainsi gagné l’award Vivatech BPI lors de la dernière édition du Salon Vivatech.

 

Avez-vous connu un moment fort dans cette aventure entrepreneuriale qui vous a marqué et que vous aimeriez partager ? 

Je vous rassure : il y en a eu beaucoup ! Heureusement d’ailleurs… ce serait triste si ce n’était pas le cas ! Des moments forts on en a tout le temps, ça dépend comment on définit un moment « fort ». Très franchement, je pense que les deux dernières années portent leur lot de surprises, d’ajustements, de challenges pour un entrepreneur, et pour tout le monde du reste. 

Je travaille avec la Chine depuis une quinzaine d’années et j’y vais en général toutes les 4 à 6 semaines. Or, la difficulté à voyager étant maintenant ce qu’elle est, ces habitudes sont remises en cause. Cependant, j’ai toujours des collaborateurs en Chine, j’ai toujours des bureaux, des partenaires, des clients, des associés mais pour certains je ne les aient pas vus depuis plus d’un an et demi, ce qui ne m’était jamais arrivé. C’est pourquoi j’ai pris début janvier 2021 l’engagement de venir voir mes équipes et mes collaborateurs en Chine cette année. Bien que pensant pouvoir tenir cet engagement plus tôt dans l’année 2021 et malgré une situation sanitaire qui est restée et reste très complexe au cours de cette année, je suis heureux d’avoir pu effectivement tenir parole (cela m’importe toujours). J’ai pris l’avion le 9 décembre, et à l’heure où nous nous parlons, je suis à mon 12ème jour de quarantaine, de laquelle je pourrai prendre congés le 31 décembre à midi pour amorcer une deuxième phase d’isolement, moins contraignante. Cela me permettra de retrouver bientôt mes équipes : comme promis.

Effectivement, bien que passer 20 jours en laissant mes équipes, mes collaborateurs, ma famille pour tout gérer à distance puisse représenter une forme de sacrifice, je ne le vois pas comme cela. Même si cela m’oblige avec mes équipes à nous adapter fortement, cela va de soi. Et, en même temps, c’est un moment fort, parce qu’il n’est pas simple, qu’il faut pouvoir tenir le cap, et c’est aussi tout cela qui le rend passionnant. Quand on considère qu’être exigeant avec ses équipes passe avant tout par soi-même, il est évident qu’il me fallait passer par des moments un peu moins faciles.

 

À présent, pouvez-vous nous parler plus en détail de Luxurynsight ? 

Luxurynsight est né d’un constat et d’une évidence. Le constat c’était qu’il y a une dizaine d’années, le monde changeait de plus en plus vite, que la data était en train de façonner de nouveaux horizons. À ce moment-là, les marques de luxe avaient la posture de dire que cela n’était pas vraiment fait pour eux, tout comme le digital n’était pas censé les concerner il y a une vingtaine d’années. En effet, le digital s’inscrivait dans des modes de fonctionnement différents de ceux du luxe : parce qu’un site internet est ouvert à tous et qu’on peut mettre un gardien devant une boutique, parce que la data est transparente et que le luxe est mystérieux, parce que la data reflète la demande et que le luxe c’est l’offre… Pour toutes ces raisons, le luxe et le digital n’étaient pas une évidence. Or, l’autre évidence, me semblait-il, c’est que le luxe a toujours été un catalyseur pour mieux comprendre le monde qui nous entoure et ce, depuis 150 ans. Louis Vuitton a commencé à briller quand il a compris que lorsque les gens veulent voyager, il leur faut des malles. Cette adaptation constante, cette compréhension du monde qui les entourent a toujours été une des composantes extraordinaires de l’innovation dans le luxe. Quand vous imaginez qu’Hermès était un sellier, une marque de selles, et que cette maison est aujourd’hui est une des marques qui fait rêver le plus de monde alors que personne ne se balade plus en cheval, cela illustre justement la capacité de réinvention perpetuelle des marques de luxe.

Ainsi, le luxe justement a une particularité les produits de luxe ne répondent pas à un besoin (boire, manger, etc.) qui par essence, est universel, mais à un désir, qui lui est lui socio-culturel. Si les consommateurs chinois, japonais et français n’ont pas les mêmes désirs, ils ont les mêmes besoins. Et, quand vous vendez un produit qui répond à un désir, alors il faut comprendre ces consommateurs, savoir parler aux cultures pour mieux susciter ces désirs. Dès lors, pour toutes ces raisons, les marques de luxe sont plutôt dans une dynamique de dialogue, d’invention, de surprise et donc dans une logique d’offre : on a une intuition, une inspiration et on crée. C’est ça ce qui fait le luxe.

Le luxe a besoin de création et sans création, vous n’avez pas de luxe. Or, la création nécessite de l’inspiration, et l’inspiration a besoin de connaissance. D’ailleurs, les plus grands créateurs à travers les siècles ont toujours été de fabuleux agrégateurs de connaissances, que ce soit Léonard de Vinci il y a quelques siècles, ou Karl Lagerfeld il y a quelques années. Et, le plus gros levier de connaissance en 2022, c’est la data. C’est une nouvelle manière de comprendre le monde qui nous entoure, en tout cas c’est comme ça que je le comprends. Ainsi, le constat actuel que les marques de luxe ont besoin de la donnée pour mieux maîtriser leurs enjeux de développement et être plus innovant, c’était pour Luxurynsight une évidence il y a 10 ans. 

Enfin, comme me l’a dit un jour Stanislas de Quercize : « ce qui est intéressant avec Luxurynsight, c’est que vous êtes un GPS dans le monde contemporain ». Aider les marques à comprendre quel est le chemin le plus court, le chemin optimal grâce à la donnée est l’essence même de notre métier. De fait, ces milliards de petits véhicules qui ont installé Waze et aident à trouver la trajectoire la plus simple par intelligence collective, ce sont pour nous tout autant de marques sur lesquels on collecte de l’information et qui nous permettent de trouver le chemin optimal pour aider les marques à aller le plus vite vers leur réussite. En bref, Luxurynsight est une société qui collecte de la donnée utile aux marques pour leur développement, et en particulier le développement à l’international.

 

De quelle manière collectez-vous ces données sur le luxe ? 

Notre particularité, c’est d’identifier avec nos clients le type de données et d’analyse dont ils auront besoin, puis de créer des logiciels pour aller collecter, structurer et analyser cette donnée. Par exemple, le prix est au cœur des réflexions des marques pour des raisons évidentes (positionnement tarifaires, rentabilité, gestion dynamique des prix sur des marchés nombreux à l’international, impact des effets de changes dans les comportements d’achat et lieux de consommation effectifs des acheteurs). Il n’y a qu’en ayant tous ces prix-là en temps réel dans le monde entier que vous allez pouvoir dire : « pour un consommateur chinois, le meilleur endroit au monde pour acheter ce produit aujourd’hui, c’est la Corée ou le Japon, etc. ». Bien que ce type de données soit publique, encore faut-il la collecter, la traiter, la structurer, l’analyser et la visualiser pour la partager aux marques afin de les aider à mieux comprendre et optimiser leurs business.

Ainsi, le challenge est tout autant technique pour maîtrise les procédés de collecte de la donnée, que business pour savoir quelle donnée aller chercher. Il faut trouver un équilibre entre les deux : ce n’est pas de la technologie pure puisqu’on doit maîtriser des enjeux métiers divers, très spécifiques, et savoir se challenger sur les meilleures manières de le faire, et c’est ce qui fait l’expertise, l’unicité, et la raison d’être de Luxurynsight.

 

Comment les maisons de luxe tirent profit de votre base de données ? 

Aujourd’hui, notre métier consiste à créer des logiciels sur un modèle d’abonnement pour que les marques consultent et visualisent tous les jours un certain nombre d’informations quantitatives et qualitatives sur leurs activités et univers de marché. Notre particularité c’est que nous travaillons en proximité de nos clients pour adapter nos solutions à leurs besoins, par une compréhension approfondie de leurs problématiques de marchés et également par rapport à leurs habitudes et modes de fonctionnement internes. C’est là la beauté du luxe. Si vous prenez des banques, il y a fort à parier que leurs structures internes et processus internes seront assez proches. En revanche, si vous prenez 3 marques de luxe, 3 maisons, leur organisation interne et leur manière de travailler n’auront absolument rien à voir ! Il y a bien sûr des points communs mais surtout énormément de différences qui ont trait à la manière dont ces sociétés se sont constituées dans le temps. 

Dès lors, la première question c’est « Quel est votre vrai besoin ? », « Quel est votre vrai pain point, quel est votre vrai problème ? ». Leur vrai problème peut être qu’ils n’arrivent pas vraiment à optimiser leur développement en Chine. C’est un pain point mais il faut le préciser : « Qu’est-ce que vous ne faites pas assez bien en Chine ? Est-ce que vous avez un problème de brand awareness ? Est-ce que vous pensez que vous avez un problème de ventes ? ». Il faut identifier le problème et le plus important n’est en général pas la réponse, mais comprendre la question. En effet, mon premier métier c’est de comprendre la question et ensuite de trouver la technologie qui va permettre de répondre à cette question. Quand je dis à mes clients : « aujourd’hui la Chine c’est 35% de votre business, est-ce que c’est 35% de votre temps ? ». Ils me répondent « non ». Ce à quoi, je leur rétorque « si vous ne passez pas 35% de votre temps sur la Chine, vous ne réussirez pas, là où ils s’agit d’un marché 10 fois plus dur, donc c’est normal que pour obtenir les mêmes résultats en Chine qu’en France, il vous faille plus de temps, donc ce n’est pas 35% qu’il faudrait, c’est 40% ». 

Ainsi, la réalité, c’est que le temps s’accélère et que parfois on passe à côté de certaines évidences. De fait, comment peut-on faire pour maximiser son temps de travail et la valeur ajoutée que l’on crée avec un temps qui par essence est limité ? Là est toute la puissance d’un logiciel. Un logiciel vous fait gagner du temps dans la collecte, dans le travail chronophage initial pour ensuite vous permettre d’allouer votre temps là où il y a de la valeur : sur l’analyse et la prise de décision. Quand vous êtes en entreprise, vos collaborateurs, vos managers vont créer de la valeur sur 10 à 15% de leur temps. Tout le reste n’est qu’un travail préparatoire qui vise à cette création de valeur. Maintenant imaginez que ces 50 ou 60% de votre temps soient dédiés à la collecte de données : vous pouvez le faire deux fois plus vite avec le bon outil, la bonne plateforme. Dans ces cas-là, vous gagnez au moins 25% de ce temps, ça va doubler ou tripler votre productivité. 

C’est ça la force d’outils comme ceux de Luxurynsight : ils n’ont rien de magique, mais ils permettent tout de même de mieux utiliser le temps utile par une information de qualité, structurée, précise, adaptée qui permet de retrouver du temps pour prendre les décisions qui sont importantes : c’est un peu ça l’ambition de Luxurynsight. 

 

Quels sont vos missions au quotidien en tant que fondateur et CEO de Luxurynsight ? 

Quand on a une start-up, on dit souvent qu’on plonge d’une falaise en vendant un avion et qu’on le construit pendant qu’on tombe. Vous allez faire des milliards de trucs, que vous aviez prévus ou non. Luxurynsight compte actuellement une cinquantaine de collaborateurs, et a donc atteint un niveau où son organisation lui permet de se concentrer sur plus de choses. La mission première d’un fondateur est de porter la vision d’une entreprise, de lui donner tout son sens, d’en être animé pour pouvoir ensuite animer vos collaborateurs et vos associés. Naturellement ,le fondateur apporte la dynamique parce que c’est le vecteur central du changement. Si vous n’êtes pas convaincu, comment voulez-vous être convaincant ? Je vois aussi ma mission comme celle de devoir transmettre ma passion, mes convictions, mes connaissances. Il convient d’amener toute cette énergie collective et de la rendre effective en une capacité d’invention et de créativité, qui parfois est plus dur à avoir dans un grand groupe puisque dans un grand groupe, les nombreuses règles à suivre freine la spontanéité, la souplesse et la liberté nécessaire pour inventer et constuire.

Puis, à mesure qu’une entreprise grandit, toutes les fonctions qui ont trait à l’exécution des opérations, au fait de faire, sont portées par des gens qui sont meilleurs que vous. Par exemple, mon directeur marketing est meilleur que moi en marketing, mon directeur financier est meilleur que moi en finance donc les fonctions vont être portées par des gens qui, mécaniquement, seront meilleurs que vous. À ce moment-là, il vous reste à donner du sens, donner de la cohérence, animer tout le monde, continuer à construire justement cette vision stratégique et ne jamais se satisfaire de ce que l’on fait en continuant d’être créatif surtout dans une entreprise comme la nôtre, portée sur la technologie et l’innovation. Enfin, au début, nous avions le slogan suivant : « bring datas to luxury, and bring luxury to datas ». Certes, « bring datas to luxury », c’est bien, c’est bien d’amener de la data aux marques de luxe. Mais, encore faut-il amener les marques de luxe vers la data, encore faut-il qu’elles identifient ce besoin-là. Donc il y a toujours ce rôle, d’évangélisation et d’accompagnement, en toute humilité bien évidemment, parce qu’on ne peut être que moins bon que nos clients. On est en toute humilité leur coach, leur partenaire et on doit se nourrir de leur succès et les aider. 

 

Qu’est-ce que vous apporte cette dimension internationale avec la Chine dans votre vie professionnelle et dans votre vie personnelle ? 

Pour moi, l’international est une évidence et je ne pourrai pas imaginer mon quotidien sans cette dimension. Le monde a des milliards de choses à nous montrer, à nous apporter. Ça amène une grande sorte d’humilité. On a tous grandi dans un endroit avec une culture spécifique, on a tous essayé de rendre honneur à l’héritage reçu par nos aînés. Mais les autres cultures ne sont pas moins intéressantes ni moins bonnes. Ce sont justes d’autres prismes, d’autres manières de voir les choses. Plus on s’expose à d’autres cultures, plus on arrive à renforcer sa capacité à innover, à voir les choses sous un prisme différent et à relativiser ce qui nous a été présenté comme des vérités absolues et qui, sont très souvent relatives. Ce que m’apporte la Chine par exemple, c’est justement cet autre regard, cet effet miroir. J’adore penser à la France quand je suis en Chine et penser à la Chine quand je suis en France. Challenger les perceptions de ce que j’ai sous les yeux, avec ce que je sais de la façon de les voir ailleurs. Tout cela constitue une richesse inestimable, surtout quand on parle de cultures aussi fortes que les cultures françaises et chinoises, toutes deux extrêmement humaines, millénaires, toutes deux portées par des valeurs très fortes et d’ailleurs assez similaires à plusieurs égards. Sincèrement, je pense que l’expérience de l’international participe de mon bonheur. Il est dommage de se limiter à ce que le destin ou le hasard nous suggère, il est important de savoir s’en affranchir pour rencontrer, partager, apprendre, et grandir au delà de nos environnements culturels connus.

 

Quelle est la chose qui vous plaît le plus dans le luxe ? 

Ce qui est beau dans le luxe et ce qui me plaît le plus, ce sont celles et ceux qui le font vivre. Le luxe est un secteur où les personnalités dirigeantes sont  fascinantes. Ce sont des personnes passionnées, parce que le luxe est un secteur d’émotion. J’admire les valeurs portées par quelqu’un comme Stanislas de Quercize par exemple. Christian Blanckaert, en parallèle d’avoir été le PDG d’Hermès Sellier et directeur général d’Hermès International, a été maire pendant des années de Varengeville-sur-Mer, et écrivain de romans à succès. Richard Collasse, président de Chanel Japon, est un écrivain également, un des plus fins connaisseurs du Japon au monde. Toutes ces individualités sont en réalité des personnalités uniques, dotées d’une curiosité culturelle et émotionnelle extraordinaire. Il est extrêmement stimulant, vivifiant, et inspirant de travailler à côté de ces personnes-là. Ça n’est pas ce qu’on voit de l’extérieur le plus beau dans le luxe, ce ne sont pas juste les produits et les boutiques, c’est surtout les gens qui sont derrières, les artisans qui ont une passion de faire ce métier pendant des décennies, avec à nouveau une maîtrise extraordinaire. Ce sont vraiment toutes ces personnes-là qui sont passionnés, qui sont le luxe.

Évidemment aujourd’hui, le développement économique du luxe lui donne une telle visibilité qu’on en finit parfois à surtout voir cet aspect. Mais, si ce développement extraordinaire ne s’était pas nourri de cette créativité, de cette intelligence culturelle et émotionnelle fabuleuse, phénoménale, il ne tiendrait pas très longtemps et ne survivrait pas à une crise comme le Covid-19. Le luxe survivra au Covid-19, se réinventera avec le Covid-19 parce que les marques de luxe, si vous prenez Hermès ou Louis Vuitton, entre autres, existent depuis le milieu voire la première partie du 19ème siècle. Ces maisons ont traversé la révolution industrielle, deux guerres mondiales, la crise de 1929 et elles traverseront la crise du Covid-19 bien évidemment. Cette résilience, cette capacité à réinventer le monde, faire rêver les gens, paraître toujours à la pointe de la modernité tout en ayant 200 ans, cela demande un talent fou. En effet, cela requiert un savant mélange de créativité, de sensibilité, de gestion des organisations et des affaires extraordinaire. C’est cet équilibre d’ensemble que je trouve fabuleux, et que je retrouve à l’échelle des personnes qui font vivre ces marques au quotidien. Ainsi, c’est un vrai plaisir et un vrai honneur que de travailler à leur côté.

 

Est-ce que vous auriez un conseil pour les étudiants qui seraient intéressés soit par l’entrepreneuriat, soit par le luxe, soit éventuellement par les deux ? 

D’abord, ce que je dirais, c’est que dans le luxe comme dans l’entrepreneuriat, la passion est fondamentale. Mais passionné à un point qui dépasse non seulement l’entendement, mais doit amener ces personnes à savoir s’affranchir de toutes formes de limites qu’on pourrait croire exister ou qu’on pourrait s’imposer. On dit souvent « ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » et ça caractérise assez bien ces deux mondes. Je pense que dans le luxe si vous comptez vos heures, dans l’entrepreneuriat si vous comptez vos heures, vous avez fait erreur, parce que vous devez être passionné, et quand on est passionné, on ne compte pas, par essence. 

Dans une économie de la connaissance comme la nôtre, le transfert de connaissances se fait selon un coefficient de deux éléments : le temps et l’attention. Or, qu’est-ce qui réussit à maximiser une attention extrêmement forte pendant un temps soutenu ? C’est l’amour. Il n’y a que l’amour dans lequel on a une attention extrêmement forte envers l’autre et dans un temps qui est infini. Si vous n’aimez pas, vous n’arriverez pas à avoir une attention très forte pendant un temps soutenu, c’est impossible. Donc, votre seule manière de réussir dans le luxe comme dans l’entrepreneuriat, c’est de mettre une attention extrêmement forte dans un temps long. Or, pour cela, il faut aimer parce que si vous n’aimez pas inconditionnellement et profondément ce que vous faites, vous aurez toujours quelqu’un qui à un moment donné réussira à faire plus que vous, à mettre un peu plus d’énergie, à avoir un peu plus de capitaux, à avoir un peu plus de visibilité, que sais-je. Mais en tout cas, il arrivera à vous battre sur la logique et vous vous devez réussir à trouver cet équilibre entre logic et magic. 

Dès lors, c’est ça le point commun, c’est d’être passionné, c’est d’aimer ce qu’on fait, c’est d’y croire parce que même si on vous dit « c’est compliqué, ça va vous prendre du temps, ce sont des milieux fermés » : non, vous devez essayer, réessayer, encore réessayer. Et, si vous êtes vraiment passionnés et que vous y croyez, alors ce sera comme une évidence pour les gens qui vous entourent et à ce moment-là, vous arriverez à atteindre vos objectifs.