
- CARRIÈRE
- Auriane Ducherpozat
- 10 juin 2025
Le retour du secteur public chez les jeunes diplômés : une revanche discrète mais puissante
Pendant longtemps, le secteur public n’était pas exactement un rêve de jeune diplômé d’école de commerce ou d’ingénieur. Jugé rigide, lent et moins valorisant financièrement.. etc Il a longtemps été boudé au profit du secteur privé, considéré comme plus dynamique, plus rémunérateur et plus prestigieux. Pourtant, un vent nouveau souffle sur la fonction publique. Depuis quelques années, de plus en plus de jeunes diplômés font le choix de rejoindre l’État, les collectivités locales ou des établissements publics. Pourquoi ce revirement ? Est-il passager ou structurel ? Tentons de comprendre ce phénomène qui redonne au service public ses lettres de noblesse.
Une quête de sens face aux désillusions du privé
La première motivation évoquée par les jeunes qui font le choix du secteur public est la recherche de sens. Les scandales à répétition, les crises économiques, la pression constante sur les résultats et l’impression d’être un simple rouage d’une machine commerciale ont conduit certains à remettre en cause les promesses du secteur privé.
Dans un sondage OpinionWay pour l’ENA, 17% des jeunes interrogés déclaraient être plus attirés par l’impact social que le salaire. L’idée de contribuer à l’intérêt général, de servir la société, de participer à la transition écologique ou à l’éducation séduit. Et pour cause, les défis sont immenses, qu’il s’agisse de transition énergétique, de justice sociale ou de santé publique.
Une évolution de l’image de la fonction publique
Autre facteur à considérer : l’amélioration de l’image du secteur public. Si autrefois les administrations étaient vues comme des bastions d’archaïsme, aujourd’hui, les institutions recrutent, communiquent, modernisent. Certaines d’entre elles ont même lancé des campagnes de marque employeur, à l’image de la Direction générale du Trésor ou de l’Agence française de développement (AFD). Ces dernières n’ont plus à rougir face aux géants du conseil ou de la finance.
Le renouveau passe aussi par la diversification des profils : juristes, data analysts, ingénieurs, communicants, tous les métiers sont représentés. En outre les postes proposés sont souvent stratégiques et porteurs de responsabilités, dès la sortie de l’école.
Lire plus : Classement des salaires des hauts fonctionnaires en France
Les concours ne font plus peur
Longtemps perçus comme un passage obligé, les concours de la fonction publique ont effrayé de nombreux jeunes diplômés. Trop académiques, trop sélectifs, trop longs… Mais cette peur semble reculer. D’une part, de plus en plus de formations préparent aux concours administratifs (Sciences Po, les IEP, les écoles de management…). En outre certains jeunes y voient désormais un challenge intellectuel valorisant, et une garantie de stabilité professionnelle.
Mieux encore, des voies de recrutement sur profil ou par contrats temporaires se multiplient, permettant à des talents extérieurs de rejoindre la fonction publique sans passer par les concours traditionnels. L’État cherche à attirer les meilleurs, même au-delà des circuits classiques.
Des conditions de travail plus humaines ?
Les jeunes générations placent aujourd’hui l’équilibre vie pro/vie perso parmi leurs priorités absolues. Et sur ce point, le secteur public marque des points. Horaires fixes, jours de RTT, souplesse croissante (notamment sur le télétravail), congés généreux, congé parental facilité… autant d’éléments qui contrastent avec le rythme effréné des cabinets de conseil ou des banques d’affaires.
Le bien-être au travail devient un argument de recrutement. De plus en plus d’organismes publics affichent des politiques RH progressistes, avec une vraie attention portée à la santé mentale, à l’égalité des chances ou à la lutte contre les discriminations.
Lire plus : CentraleSupélec lance un dispositif d’accompagnement aux concours de la haute fonction publique
Des opportunités à l’international et dans l’innovation
Travailler dans le public ne signifie pas forcément rester dans une mairie de province. L’administration française est présente dans le monde entier, via ses ambassades, ses instituts culturels, ses agences de développement ou les postes de coopération internationale. Les jeunes diplômés polyglottes et engagés peuvent ainsi envisager des carrières à l’international tout en restant au service de l’État.
Par ailleurs, de nombreux projets publics sont à la pointe de l’innovation. Il peut s’agir du déploiement de la 5G, de régulation de l’intelligence artificielle, de cybersécurité, ou de smart cities. Les collaborations entre institutions et start-up ou labos de recherche se multiplient, rendant le secteur public attractif pour les profils techniques.
L’ombre d’un choix « par défaut » ?
Pour être juste, il faut nuancer cette embellie. Tous les jeunes ne rejoignent pas le public par pure vocation. Pour certains, il s’agit d’un refuge temporaire dans un marché de l’emploi incertain, ou d’un choix de transition en attendant de trouver mieux. D’autres y voient un moyen d’acquérir une première expérience facilement valorisable, avant de retourner vers le privé.
Le secteur public bénéficie aussi d’un regain d’intérêt conjoncturel lié aux crises récentes : crise sanitaire, crise climatique, guerre en Ukraine. Ces bouleversements ont replacé l’État au cœur de la gestion des risques, renforçant sa légitimité et son attrait.
Lire plus : Que pensent les français du secteur public ?
Vers une nouvelle complémentarité public/privé ?
L’avenir du travail semble tendre vers une hybridation des parcours. De plus en plus de jeunes diplômés n’opposent plus public et privé. Ils veulent expérimenter plusieurs secteurs, se construire une carrière multisectorielle, et développer des compétences transférables.
Les passerelles se multiplient : un consultant en transition énergétique peut très bien rejoindre un ministère, puis retourner en entreprise. Les profils « biculturels » sont même très recherchés, capables de comprendre les enjeux du marché tout en maîtrisant les logiques institutionnelles.
Si l’on observe bien, le retour du secteur public chez les jeunes diplômés n’est pas une simple mode, mais le symptôme d’un changement générationnel plus large. Une génération qui aspire à plus de cohérence entre ses valeurs et ses choix professionnels, qui veut travailler pour des causes plus grandes qu’elle-même, et qui valorise la stabilité autant que l’impact.
Le secteur public, à condition de continuer sa transformation, a donc toutes les cartes en main pour attirer durablement les talents. Il ne s’agit plus seulement de servir l’État, mais bien de contribuer à la société, dans toutes ses dimensions. Une ambition à la hauteur des défis de demain.