- ACTU BUSINESS TECH
- Louis Marcel
- 2 janvier 2023
The Line : quel avenir pour la ville du futur ?
La vidéo de présentation de The Line, publiée par l’entreprise NEOM le 25 juillet 2022 a fait parler d’elle. Pour reprendre les mots du communiqué officiel ; “Le projet propose une nouvelle définition du concept de développement urbain et du visage des villes du futur. “ Il s’inscrit dans le cadre du projet « Vision 2030 » de l’Arabie Saoudite qui vise à diversifier les activités du pays dans les prochaines décennies.
The Line est insolite car c’est une ville de 170km de long pour 200 mètres de large et 500 mètres de haut en plein désert qui se veut écoresponsable. En effet, les déplacements se feront à pied ou grâce au train qui traverse la ville en 20 minutes et les énergies utilisées seront vertes (même au sein des industries). C’est pourquoi NEOM affirme que The Line émettra 2% des gaz à effet de serre d’une ville classique. Pour couronner le tout, la ville sera parcourue par des jardins suspendus qui assurent un cadre de vie vert.
Lire plus : Le projet The Line : utopie ou dystopie du monde de demain ?
Le format de cette ville du futur se base sur le « zero gravity urbanism », une architecture urbaine qui mise sur la verticalité pour limiter l’étendue de la ville. La superficie de la ville n’est donc que de 34km² pour 9 millions d’habitants, là où New-York représente 783km² pour 8,4 millions d’habitants, le tout recouvert de miroirs. De ce fait, l’intérieur de la ville serait préservé de la chaleur extérieur, et la mobilité, verticale. Il ne faudra plus traverser la rue pour aller faire ses courses mais monter quelques étages.
Côté communication, l’entreprise a bien été conseillée ; les visuels 3D sont soignés et le design du site web irréprochable. Les vidéos de présentation du projet présentent The Line comme un havre de paix lumineux face aux tristes villes traditionnelles. Pour autant, il est évident que NEOM va avoir du mal à tenir ses promesses…
Des incohérences manifestes qui entachent la crédibilité du projet
Commençons par les incohérences : si NEOM se dit écologiquement responsable, l’entreprise est fière d’annoncer faire sa promotion sur les avions de Saoudia. Elle offre d’ailleurs deux vols domestiques par mois à ses cadres. Par ailleurs, le chef de son conseil d’administration n’est autre que Mohammed ben Salmane (MBS). Le prince héritier d’Arabie Saoudite a toujours refusé de signer les accords de Paris, et il est peu ouvert à la critique… Nous pouvons aussi nous étonner des offres de recrutement proposées par NEOM. Comment se fait-il que les postes «legal director, head of platform and parterships, director-Water innovation Centre, director facilities planning » soient vacants ?
Les accusations de greenwashing sont bien légitimes au vu des défis auxquels une telle ville du futur doit répondre, à commencer par sa construction. Il est difficile d’imaginer que The Line puisse être neutre en carbone. De fait, sa construction nécessite l’acheminement de milliers de tonnes de béton, de verre et de sable qui sont connus pour leur impact environnemental élevé, comme le souligne Philip Oldfield, responsable des études de construction à l’université de New South Wales. De même, NEOM annonce que « 95% de l’environnement sera préservé ». Une promesse bien floue qui n’engage à rien, et pour cause, mettre un mur infranchissable au milieu d’un écosystème est un acte lourd de conséquences. Les routes migratoires seront brisées, les blessures d’oiseaux seront légions du fait des miroirs disposés sur les façades et de nombreux animaux verront leur mode de vie bouleversé. The Line détruira leur territoire de chasse, habitats et habitudes.
Bien que NEOM ait peu ou pas communiqué sur ses ambitions philanthropiques au sein de The Line, le pire s’annonce. Le 27 octobre, les travaux d’excavation de The Line ont commencé. Les citoyens refusant de quitter leurs habitations ont été condamnés à mort après avoir été jugés par le parquet antiterroriste Saoudien.
Quel avenir pour cette ville du futur ?
L’aspect économique est le plus dur à évaluer. 2 scénarii sont envisageables : soit la ville parvient à attirer des partenaires économiques du fait de son importante population et d’une politique gouvernementale incitative. Les entreprises partenaires sont alors prêtes à fermer les yeux sur un désastre écologique et social en contrepartie d’une visibilité accrue et d’un développement de leurs activités. Deuxième scénario ; The Line peine à convaincre à cause de son image de ville faussement éthique et de son isolement géographique. Les grandes entreprises ne souhaitent pas voir leur image associée à NEOM au vu des nombreux mensonges de l’entreprise. Le deuxième scénario semble être le plus probable du fait de l’évolution de la communication des grands groupes, sachant que nous n’avons même pas abordé les difficultés potentielles pour trouver 9 millions d’individus prêts à vivre au milieu du désert.
Pour autant, les premiers résidents sont attendus pour 2030. Il faut donc investir beaucoup, et vite, dans ce projet estimé à 500 milliards de dollars. Pour ce faire, le pays n’a pour l’instant que les hydrocarbures pour financer ses projets. Il y a donc un paradoxe : la prétendue ville verte du futur se construira sur la vente d’énergie fossiles.
Enfin, il semble difficile de tenir les échéances annoncées ; comment créer une ville ex-nihilo capable d’accueillir 9 millions de personne en 10 ans ?
Cependant, NEOM propose un concept intéressant concernant la construction de The Line ; la fabrication par portion. The Line se découpe en plusieurs segments dont la construction sera répliquée industriellement pour réduire les temps et coûts de fabrication, mais qui seront assemblés in fine.
The Line n’est qu’un des trois projets annoncés par NEOM. Trojena (station de ski au bord d’un lac artificiel désalinisé) et Oxagon (ville flottante qui doit rendre l’Arabie Saoudite leader dans la production d’hydrogène vert) sont tout aussi excentriques et peuvent avoir un lourd impact sur l’attractivité du pays, autant en cas de succès que d’échec.