- ACTU ÉCOLES VIE D'ASSO
- Dorian ZERROUDI
- 16 mars 2022
La Tribune étudiante : n’a-t-elle de tribune que le nom ?
HEC Débats, Les Mardis de l’ESSEC, Tribune, Agora ou encore Forum emlyon, des tribunes étudiantes à succès au sein des Grandes Écoles de Management. Un succès qui transcende d’ailleurs l’univers de ses Grandes Écoles, pour atteindre plus largement un auditoire sinon exclusivement étudiant, au moins s’en rapprochant par son âge et ses centres d’intérêts.
La notoriété desdites tribunes étudiantes est telle que parmi elles compte la première tribune étudiante de France avec plus de 850 invités à son actif (Les Mardis de l’ESSEC), avec toujours davantage d’invités prestigieux, en atteste la conférence du 11 mars à emlyon business school de l’ancien premier ministre et actuel membre du conseil constitutionnel, Alain Juppé. Face à cette notoriété grandissante, nous pouvons nous interroger quant à la définition même d’une tribune étudiante au regard de la notoriété à laquelle elle prétend. Par définition, une tribune est le lieu depuis lequel l’orateur harangue la foule. Elle est un amplificateur, le relai d’une parole. De fait, la tribune est récipiendaire d’une responsabilité qui vient de sa nature déclamative.
Quelles sont les missions des tribunes étudiantes ?
Cependant, une tribune étudiante ne peut pas se limiter au simple relai d’un discours, elle doit également constituer ce moyen par lequel nous produisons le discours. « La tribune étudiante est le carrefour dans lequel nous devons repenser nos moyens de communication, notre façon de débattre pour ainsi mettre en avant le débat d’idées et non la démonstration purement performative d’idées, laquelle interdit le débat. L’identité de la tribune étudiante repose sur l’identité des gens qui la composent, c’est-à-dire majoritairement les artisans qui seront au cœur des tensions de demain, ce qui amène une deuxième responsabilité, plus collective. » explique les étudiants de l’association Forum d’emlyon. Ainsi, cette double responsabilité, d’une part celle de relayer les discours éclairants qui concourent à alimenter le terreau fertile du débat politique et d’autre part celle de produire le discours, nous amène à reconsidérer le véritable dessein d’une tribune étudiante au sein d’une Grande Ecole de Management.
La responsabilité d’une tribune étudiante, c’est d’avoir conscience d’une forme d’homogénéité de la population qui les constituent elles-mêmes. Il fait peu de doute qu’on peut retrouver, au sein des Grandes Ecoles de commerce, les porteurs éloquents de tout un spectre d’idées politiques originales et disruptives. Sans doute sont-ils présents dans les tribunes étudiantes de ces-dites écoles d’ailleurs. Et pourtant : comment feindre de ne pas être finalement tous d’accord, au moins sur les grandes lignes, sur les grands sujets qui font débat aujourd’hui ?
Des associations permettant de promouvoir le débat !
Les étudiants des Grandes Ecoles de commerce partagent une disparité d’avis sur des questions isolées et c’est peut-être là tout l’enjeu : si la tribune étudiante se veut le foyer de débats féconds (comme le laissent entendre la proportion non-négligeable de noms de tribunes en grandes écoles qui font directement référence à la « cité » au sens grec du terme et aux débats qui y prenaient place) et surtout enrichissants, alors la monotonie de débats est un danger doublement mortel. Non seulement elle risque de se perdre dans des débats infructueux, mais surtout elle risque de perdre ce qui, semble-t-il, lui donne tout son sens : car si la tribune étudiante ne s’efforce pas de faire fleurir ces idées nouvelles et essentielles à la pérennité de notre société, si elle ne permet pas aux étudiants de cultiver leur jardin, alors se distingue-t-elle réellement d’une conversation entre orateurs avertis dans une soirée ? Rien n’est moins sûr. Une tribune étudiante, ça n’est donc pas la scène d’un théâtre où des étudiants jouent leur propre rôle mais un échiquier où s’affrontent des idées auxquelles elle s’efforce, avec bénévolence, de donner du crédit et de la portée. On peut perdre une partie d’échec, tout comme on peut reconsidérer sa position, on peut rejouer et la défendre différemment, tout comme on peut ne jamais perdre, rien de tout cela n’est exclu. Ce que la tribune se doit d’exclure en revanche, c’est de jouer continuellement la même partie.
Se peut-il alors, que la tribune étudiante se doive d’être toujours apolitique ? C’est-à-dire neutre dans ses positions, se contentant “d’apporter la contradiction” ? Non. Non car ce serait certainement vouloir se projeter vers un avenir qui n’est ni atteignable … ni souhaitable : il paraît difficile de revenir sur ce qui a été posé précédemment, à savoir qu’une telle chose est impossible dans un milieu – parfois inconsciemment – politisé ; mais il y a plus : car si ce sont davantage des valeurs que l’on doit défendre plutôt que des idées politiques, il n’en demeure pas moins que choisir entre deux valeurs, c’est déjà un acte purement politique. De ce constat, pragmatique au possible, il découle que la politisation n’est pas l’ennemi de la tribune étudiante, bien au contraire, et il s’agit même de la revendiquer.
Se terrer derrière une soi-disant neutralité dans les discours, même lorsqu’ils sont rapportés, c’est vaincre sans péril. C’est refuser de se livrer aux enjeux de demain avec la passion nécessaire pour les relever. Nous avons une responsabilité, non seulement en tant que produits d’un système qui nous favorise, mais plus encore en tant que jeunes, et dans le même temps que citoyen. Cette responsabilité, c’est d’être à la hauteur des défis que nous connaissons et elle exige que nous soyons aux premières lignes du front des grandes batailles de notre époque, la liberté d’expression, le maintien du débat démocratique et la lutte contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. De fait, la tribune étudiante doit avoir le courage intellectuel de la nuance, mais aussi la volonté “exigentielle” de s’inscrire dans cette lutte commune toujours à recommencer qu’est la démocratie. Exigentielle, c’est-à-dire qu’elle est condition absolument nécessaire pour qu’une lutte, quelle que soit sa direction, ait un sens, une raison d’être.
Au terme de cette réflexion, une proposition semble alors apparaître. Si la tribune étudiante doit faire une chose, c’est être un catalyseur, c’est rappeler aux étudiants ce qu’ils sont : des citoyens. On ne badine pas avec la politique.
Un article proposé par l’association Forum d’emlyon