SIGEM 2021 : Une analyse économique et sociologique

SIGEM 2021 : Une analyse économique et sociologique

La Chronique de Léo – Dans cette première chronique d’une longue série visant à décrypter de manière économique et sociologique la vie des écoles et des entreprises, nous allons analyser le SIGEM 2021. Le classement SIGEM des écoles de commerce 2021 a réservé son lot de surprises. Parmi les plus marquantes, nous retiendrons notamment que l’EDHEC BS a pris la quatrième place historiquement occupée par emlyon bs et que SKEMA a confisqué la sixième place à Audencia BS. Ces bouleversements s’expliquent par de multiples facteurs et force est de constater que la théorie économique et sociologique nous permet d’expliquer une partie de ce retournement de situation.



Des facteurs objectifs

En premier lieu, on pourra évidemment rappeler que des facteurs « objectifs » expliquent ces nouvelles tendances : campus plus moderne pour telle école, meilleure communication pour telle autre école… Cependant nous allons essayer de montrer que des facteurs psychologiques sont aussi à l’œuvre, rendant d’autres facteurs objectifs presque secondaires.



Les étudiants responsables et victimes du SIGEM

En réalité, pour tirer des conclusions par rapport au classement SIGEM, il faut rappeler que ce sont en premier lieu les étudiants de classe préparatoire ECE, ECS et ECT qui en sont à la base. Or, les étudiants de CPGE dans une logique de performances scolaires et d’un certain « égoïsme » décident généralement de leur école par rapport aux différents classements qu’ils peuvent observer dans les médias. C’est ce que montre une étude publiée par le site Mister Prépa. Cette influence peut même parfois être intériorisée sans être remise en question. En réalité ces classements perpétuent un certain habitus au sens de Bourdieu dans le monde des classes préparatoires. En effet, le reproche que l’on pourrait faire à ces classements est qu’aucun classement n’est réellement objectif. En constituant un classement ils tendent à rendre leurs classements réalité mais bien ex post. Le classement a un effet performatif, il tend à rendre objectif la situation classée alors que le classement peut en réalité être discuté. Classer n’est pas forcément objectiver.


 

Le comportement de « mouton grégaire » des étudiants

Dans ce cadre, la diminution d’attractivité ponctuelle d’Audencia et d’emlyon aurait très bien pu être prévue par des économistes ou sociologues tels que Keynes ou Merton. En effet, un étudiant qui choisit une école adopte un comportement proche du trader qui choisit de parier sur une action. La situation de l’école est incertaine (sera-t-elle classé au même rang dans deux ans ? Quels seront ses prochains partenariats…), l’étudiant doit donc en réalité parier sur une école, sur celle dans laquelle il croit le plus pour le futur. Ce parallèle entre le trading en finance et le choix des écoles n’est pas anodin car il a été montré notamment par JM Keynes en 1936 dans sa fameuse « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » que le comportement des agents financiers n’était pas forcément rationnel. De même manière, nous pouvons nous questionner sur le comportement de « mouton grégaire » des étudiants de CPGE vis-à-vis de cette période SIGEM.

En outre, au moment de choisir une école, les étudiants avouent souvent que la « dynamique de l’école » a une importance cruciale dans leur choix. Ce qu’ils ont tendance à oublier, c’est qu’en réalité la supposée dynamique, ce sont eux qui la créent ! Comme le disait le sociologue américain Merton en 1949 dans « Social structure and strain theory » : « lorsque les hommes définissent certaines situations comme vraies, elles le sont dans les conséquences ». Ici, prenons un exemple, l’étudiant qui regarde les classements autre que le SIGEM constate qu’Audencia est dans une baisse surprenante dans plusieurs classements (parfois même hors TOP 10). Il se dit alors que miser sur une école concurrente comme SKEMA qui, elle, monte dans les classements est un pari sur l’avenir moins risqué. Lorsque le SIGEM 2021 est dévoilé, cet étudiant a sans doute dû se dire « quel bon choix j’ai fait ». En réalité cette phrase est aussi vraie que discutable. Certes son choix s’est avéré payant mais cette place gagnée ne s’est pas jouée uniquement sur la potentielle perte de vitesse d’Audencia dans les classements antérieurs mais bien sur l’agrégation des choix des étudiants qui ont pensé comme lui. Cela sera-t-il aussi suivi par le marché, par les recruteurs ? L’avenir nous le dira.


 

Relativisons le classement SIGEM 2021

Ainsi, nous pouvons relativiser l’impact des classements (et surtout celui du SIGEM), la baisse de certaines écoles n’est pas tant causée par une perte de vitesse objective (baisse de l’excellence académique par exemple) que par un SENTIMENT de perte de vitesse chez les étudiants qui sont en réalité ceux qui causent la perte de vitesse (le fameux « telle école monte, telle école descend » ne veut en fait STRICTEMENT RIEN DIRE de manière objective). On retrouve ainsi ici un mécanisme que les préparationnaires ECE connaissent bien : la prophétie autoréalisatrice. On se rend compte alors de la nécessité pour les écoles d’employer une stratégie de communication dynamique pour donner une image d’ascension de l’école. Cela ne signifie pas que l’ascension est avérée dans le monde réel, auprès des entreprises par exemple. Les étudiants se chargeront en quelque sorte de la faire monter dans les classements par la suite selon la théorie économique.