- CARRIÈRE INGÉNIERIE
- Thomas Basillais
- 17 novembre 2023
“Combiner sens et salaire, c’est possible” Lucas Mirgalet – ingé d’avenir
Du manifeste Pour un Réveil Écologique aux prises de parole récentes des étudiants d’AgroParisTech ou de Polytechnique, les ingénieur·e·s sont conscients et préoccupés par les enjeux de la redirection écologique et solidaire, qu’ils sont 70% à considérer comme l’enjeu majeur d’aujourd’hui. Pour passer du constat à l’action, la plateforme jobs that makesense – premier site d’emploi et de formations à impact positif – lance l’initiative Ingés d’Avenir en partenariat avec l’ADEME, le BNEI, le Réseau Action Climat, Pour un Réveil Écologique, l’APEC et Latitudes : des offres d’emploi et de formation d’ingénieur dans la transition écologique, des événements et contenus pour s’informer et s’orienter. Parmi ces contenus, des portraits d’ingénieurs ayant sauté le pas pour embrasser une carrière à impact positif.
“À l’école, on m’a dit de faire ingénieur, donc j’ai fait ingénieur.”
Lucas quitte sa ville d’origine, Marseille, pour entrer à l’école des Ponts et Chaussées, à Marne La Vallée, en 2005. C’est la meilleure école qu’il obtient dans le classement des écoles d’ingénieurs. Il choisit le cursus génie civil et construction. À l’époque, autour de lui, on ne parle pas de réchauffement climatique, ni de bilan carbone. On parle finance, conseil, et carrière à l’international.
Le bilan carbone n’était pas un sujet
Après l’école, Lucas travaille dans un bureau d’études ferroviaire, avec un fort aspect international. “J’ai un bilan carbone horrible à l’époque, mais ce n’est vraiment pas un sujet.” Il y travaille pendant 7 ans, puis rentre en France avec sa compagne. “J’ai repris mes études en suivant un MBA dans l’idée de continuer à travailler dans des environnements multiculturels.” Suite à cette reprise d’études, plusieurs options s’offrent à lui : rejoindre de grosses boîtes de conseil et “ne plus avoir de vie”, une startup du numérique (comme Uber, Amazon), ou… une structure à impact. Dans l’école où il réalise son MBA, il voit d’ailleurs l’émergence d’organisations à impact, comme Change Now, portés par des collègues de sa promo. Ayant deux enfants, Lucas choisit pour le moment de rester dans la même voie : dans des grands groupes. Il rejoint d’abord Vinci aux Etats-Unis, puis enchaîne avec un poste chez Bureau Veritas : “c’était un poste Corporate, à la Défense, en costard. Je voyais des slides à longueur de journée, je prenais l’avion pour aller à Shanghai, Houston…” Finalement, au bout de 2 ans, il constate qu’il s’ennuie et ne voit pas beaucoup ses enfants.
La question du sens au travail
“Quand tu es en costard à la défense, tu te demandes : à quoi ça sert ?” Tu as des collègues de 50, 55 ans qui travaillent avec des pétroliers et qui te disent : ”je me fais chier, mais je gagne une blinde. J’ai 300 000 euros d’actions. Pourquoi changer de travail ?” Pour Lucas, cette perspective ne fait pas rêver : “Ai-je envie de faire ça et d’avoir les menottes dorées ?” se demande-t-il. Non, ce n’est vraiment pas comme cela que Lucas voit son avenir demain. “Tu te lèves le matin, tu as envie de te dire que tu as dépensé ton énergie correctement à la fin de la journée.” Le covid et les questions écologiques qui le bousculent viennent confirmer son ressenti. Pendant le confinement, il écoute Jean-Marc Jancovici, regarde les vidéos Thinkerview et lit les rapports du GIEC. “Tu comprends que quand tu prends l’avion, ça émet tant de C02, quand tu manges de la viande aussi…” Touché par le sujet, il se renseigne alors sur ce qu’il peut faire et commence à animer des fresques du climat.
“Devenir indépendant. C’est peut-être ça, la liberté.”
Devenir Consultant Indépendant
Lucas décide ensuite d’accompagner les entreprises dans le marketing digital, s’intéressant à ces sujets en parallèle de son précédent métier. Il côtoie des start-up, tâtonne, cherche sa place. Il se dit que “devenir indépendant c’est peut-être ça, la liberté.” Cette aventure durera 2 ans. Être indépendant n’est pas facile, il perd des clients et le covid en 2020 vient fragiliser son activité. À cela, s’ajoutent des questions sur le sens de son travail : “je me dis que j’ai envie d’être dans une boîte pour faire avancer les choses, plutôt qu’être indépendant.” Pour changer, il repart de ce qu’il connaît : “en tant que consultant, j’accompagnais principalement des entreprises dans le bâtiment et j’avais découvert la rénovation énergétique.” Le secteur bouge, et c’est un pilier de la transition énergétique. Les idées mûrissent. Ça prend du temps. Lucas comme par enquêter sur les acteurs du secteur de la rénovation énergétique et demande à les rencontrer. Ce à quoi il parvient facilement. “Quand tu demandes à des gens sur LinkedIn de parler de leur métier, ils le font souvent avec plaisir.” Il suit alors quelques moocs pour se former et ose toquer aux portes de nombreuses boîtes pour partager son intérêt pour le secteur. Sa démarche aura du succès, car il obtient un poste chez les éco-isolateurs en 2021, pour diriger les travaux d’isolation.
“J’ai trouvé un travail dans une boîte qui valorise mes compétences, sans grande perte de salaire.”
Combiner sens et salaire, c’est possible
Lucas travaille chez les éco-isolateurs pendant 1 an et demi et la quitte lorsqu’elle est rachetée par EDF. Il entre alors chez Thermi Conseil, un bureau d’études dans la rénovation énergétique, où il exerce depuis novembre 2022. “On y fait des études thermiques avant les travaux de rénovation et je suis directeur du développement commercial. C’est ce que j’aime. Je m’occupe de la partie communication, marketing, du développement des partenariats et de l’ingénierie pour comprendre le marché et ses évolutions.” Son travail a du sens, il a des responsabilités, c’est ce qu’il cherche, ce qui l’intéresse. Et en plus, il ajoute : “je gagne très bien ma vie.” Lors de cette reconversion professionnelle, Lucas est papa de 2 enfants et est âgé de 39 ans. Il souhaite d’ailleurs partager ce message : “c’est possible, il n’y a pas que des reconversions à 25 ou 30 ans.”
“Il y a aujourd’hui des formations qui facilitent les reconversions vers la rénovation énergétique.”
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Des besoins en recrutement
“Je le vois dans l’entreprise où je travaille : si une personne en reconversion, n’a pas tout le background technique mais est motivée et a envie de s’investir, on va l’embaucher.” La rénovation énergétique est d’ailleurs un secteur d’avenir. Un ami de Lucas a travaillé sur le rapport “Emploi” du Shift Project. Ce rapport indique que dans le secteur du bâtiment, il y aura moins de constructions neuves et qu’on va passer à la rénovation des bâtiments. “C’est ce qui est actuellement en train de se passer avec des boîtes dans la construction neuve qui se cassent la figure”, précise-t-il. Il donne l’exemple de Geoxia, connue pour les maisons Phénix, qui a déposé le bilan et “des acteurs de plus en plus présents dans la rénovation”. Lui, a tenté de rejoindre le secteur en s’auto-formant et en mettant en avant ses compétences acquises, mais aujourd’hui, c’est encore plus simple, car il y a des formations qui facilitent les reconversions vers ce type de métier. Il cite notamment la Solive. “Dernièrement, on a embauché une personne de plus de 50 ans, qui a fait la formation La Solive”, indique Lucas.
“L’alignement est là car il y a la dimension écologique et sociale, de part les valeurs du président de la boîte et la gouvernance de l’entreprise.”
La PME aussi c’est sympa
Il y a 4 ans, Lucas gagnait bien sa vie, mais échangeait avec des personnes se trouvant à l’autre bout de la planète. “À quoi ça sert ?” se questionne-t-il aujourd’hui. “Maintenant mon ami est la SNCF. C’est chouette de bosser en France.” Pour lui, la Pme, c’est aussi la bonne taille. Dans la structure qu’il a rejoint, “il y a une dimension humaine, pas de politique et un alignement de tout le monde vers l’envie de bien faire.” Il ajoute que l’alignement est présent, “car la dimension écologique et sociale, s’inscrit dans les valeurs du président de la boîte.” Dans l’entreprise, il y a beaucoup de communication, ce qui diffère avec ses précédentes expériences. Pour lui, “cette dimension est fondamentale aujourd’hui.” Lucas voit aussi les effets concrets de son travail, et trouve ça plus chouette de dire à ses enfants : “papa rénove des maisons” plutôt que “papa fait du marketing.”
“Je n’aime pas la notion de sacrifice.”
“Je vais monter une startup pendant 3 ans et ce n’est pas grave si je ne me paye pas”, c’est le genre de choses qu’on peut se dire, lorsqu’on se lance dans l’entrepreneuriat à impact ou dans l’entrepreneuriat tout court. Mais Lucas, n’a à aucun moment envisagé de prendre ces risques : “je n’aime pas la notion de sacrifice” dit-il. Travailler dans un endroit avec de belles valeurs et continuer de bien gagner sa vie, sans être stressé par ce problème d’argent, est pour lui possible. Il lance d’ailleurs “Ceux qui sont cadres et qui s’ennuient, vous pouvez le faire ! ;)”
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