Interview de Stanislas de Quercize – Ex-CEO Monde de Van Cleef & Arpels et Cartier

Interview de Stanislas de Quercize – Ex-CEO Monde de Van Cleef & Arpels et Cartier

Nous avons interviewé Stanislas de Quercize, alumni de Neoma, qui a notamment été CEO Monde des maisons Van Cleef & Arpels et Cartier.

 

Bonjour, pouvez-vous nous parler de votre parcours académique et professionnel ?

C’est un parcours où je veux progresser d’année en année, toujours plus qu’hier et moins que demain. J’ai commencé par une classe préparatoire après mon baccalauréat et ensuite j’ai étudié à Neoma (ex- Sup de Co Rouen). En parallèle de mes études à Neoma, j’ai également effectué une licence de droit. À présent, en ce qui concerne mon parcours professionnel, j’ai fait des stages chez Procter & Gamble et mon service militaire dans la Marine Nationale. Puis, j’ai commencé ma carrière chez Procter & Gamble dans le marketing parce que j’adorais comprendre en profondeur ce que désirent les clients, j’adorais cette culture américaine et chez Procter & Gamble, j’ai notamment été assistant chef de produit, chef de produit, Directeur du marketing en Belgique et puis en France.

Par la suite, j’ai rejoint l’univers du luxe chez le groupe Richemont où j’ai successivement été Directeur du marketing de Montblanc en France, Président et CEO de Montblanc en France et Président et CEO de Montblanc aux États-Unis. Ce fut une période très intéressante parce que c’est une période où Montblanc est passé de wholesale à retail donc j’ai ouvert la première boutique en Europe rue du Faubourg Saint-Honoré, à Paris, et la première boutique aux États-Unis, à New York, sur la célèbre Madison Avenue. Et en plus, on s’est développé, diversifié : du spécialiste et du leader du stylo, on est passé au cuir, à l’horlogerie, au parfum et aux lunettes. Et, au terme de cette expérience chez Montblanc, je suis devenu Directeur du Marketing international de la société Alfred Dunhill à Londres où j’ai compris l’importance de la clientèle asiatique parce que les premiers clients étaient japonais.

Ensuite, je suis rentré chez Cartier en tant que Président et CEO de Cartier en France, le berceau de cette célèbre Maison leader de la joaillerie où j’ai davantage compris la haute joaillerie, la créativité, le savoir-faire des ouvriers joailliers, l’importance du retail. À l’issue de cette expérience, je suis devenu Président et CEO de Cartier aux États-Unis. Là, j’ai beaucoup apprécié les événements de haute joaillerie avec les clients ainsi que l’ouverture de retail. Au cours de cette période, j’ai également créé le premier site de e-commerce de Cartier aux États-Unis et c’était le passage du retail au digital, ce qui était pour le moins, passionnant. Puis, j’ai été nommé Président et CEO Monde de Van Cleef & Arpels et là c’était fascinant parce qu’à l’époque, Van Cleef & Arpels était une belle endormie quand Richemont l’a racheté et en 10 ans, on a multiplié le chiffre d’affaires par 10 et on a développé les équipes, la créativité, de très belles expositions dans les musées et on était de record en record. Ensuite, j’ai été promu Président et CEO Monde de Cartier, qui est le numéro 1 des marques et des maisons du groupe Richemont. J’ai apprécié la position de leadership sur le marché de la joaillerie, un marché encore en plein développement parce qu’il comporte 20% de branded et 80% d’unbranded. C’est extraordinaire parce qu’il y a des possibilités de développement qui sont phénoménales. Enfin, j’ai été nommé Président de Richemont en France.

Et, dorénavant, j’accompagne des entrepreneurs dans plusieurs fonctions : je suis au Board de 7 sociétés familiales dans le luxe (la maison de mode Christian Louboutin, la société d’immobilier de luxe Barnes International, le joaillier Messika, le fonds d’investissement Caravelle, la fondation Rémy Cointreau, le Service Catholique des Funérailles et American Friends of Le Louvre). J’ai également cofondé et j’anime un family office avec mes 3 fils où on investit dans des startups de disruption digitale avec 20% des investissements pour les startups qui trouvent des solutions pour le changement climatique. Et, j’accompagne aussi bénévolement des entrepreneurs au sein de Réseau Entreprendre, Ashoka et Raise.

 

Comment s’est passé votre recrutement au sein du groupe Richemont ?

J’étais chez Procter & Gamble, j’étais très heureux et puis il m’est arrivé un choc personnel puisqu’avec ma femme on était mariés et on a eu un premier fils qui est malheureusement mort d’une mort subite du nourrisson à 8 semaines. C’était un choc très violent puisque c’était notre premier enfant et en plus, la mort subite du nourrisson on ne comprend pas très bien les raisons. Et, quand il a été enterré, le prêtre a dit « Alban, il a aimé, il a été aimé, il a réussi sa vie, à nous de faire de même ». J’avais 30 ans, j’étais très étonné, car finalement, on peut réussir sa vie sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter, ni marcher. Le critère c’est aimer et être aimé et ça a bouleversé et orienté ma vie. Je me suis donc dit : « C’est la vie d’accepter les risques puisque quand on donne la vie, on peut accepter de donner la mort et puis l’émotion ». Or Procter & Gamble était très rationnel et je me suis dit : « À côté du rationnel, il y a de l’émotionnel, donc ce serait peut-être bien de trouver un secteur d’activité où il y a autant de rationnel que d’émotionnel ». Puis, j’avais un ami, ancien de Procter & Gamble, désormais chez Cartier, qui recrutait et qui m’a dit : « On cherche dans le luxe des gens qui ont ce côté rationnel ». Donc, c’est comme ça que je suis rentré chez Montblanc au marketing et ensuite, j’ai voulu au sein du groupe Richemont avoir un impact positif sur mes équipes, sur la réputation, sur le chiffre d’affaires, sur la désirabilité et sur le profit.

 

Pourquoi avez-vous choisi de travailler dans le secteur du luxe en particulier ?

Parce que c’est un secteur d’excellence avec la recherche permanente de l’excellence, que ce soient dans la créativité, la fabrication, la distribution, le service client, l’expérience client, le service après-vente et la seconde main. Donc, je trouve que c’est absolument passionnant parce qu’il faut sans cesse améliorer. Et, cette recherche d’excellence correspond un peu à ce qu’on est puisque chacun d’entre nous est appelé à s’améliorer sans cesse, à être meilleur qu’hier et moins bien que demain. Aux États-Unis, justement ce que j’aime beaucoup, c’est quand on dit « New year, New you » et donc notre version 2022 de nous-même doit être meilleure que notre version 2021.

Or, dans le luxe ce sont des maisons qui ont certaines 1 siècle voire 2 siècles, et qui ont créé de la crédibilité, de la désirabilité et de la confiance à travers le temps. En effet, à l’époque, la seule façon de créer de la confiance était le temps, d’où le fait que beaucoup de marques disent « depuis… » avec par exemple « depuis 1906 » pour Van Cleef & Arpels ou encore, « depuis 1755 » pour Vacheron Constantin. Et maintenant, il y a une autre façon de créer de la confiance, c’est le réseau. Donc, c’est la combinaison du temps et du réseau et ce que je trouve fabuleux, c’est que d’année en année, de génération en génération, il faut réincarner le luxe, réinventer le luxe et toujours en recherchant le pic d’excellence et une émotion plus particulière. Donc il y a beaucoup de créativité, il y a un côté artistique et c’est un secteur qui est passionnant d’autant plus qu’il est mondial, c’est-à-dire qu’à la fois il y a le respect des créateurs, le respect des artisans et après c’est une vision internationale.

Enfin, parce que le luxe c’est le meilleur moyen d’exprimer son amour et son amitié et je trouve que c’est fascinant de travailler dans une industrie où la source originelle est l’amour et l’amitié parce que l’amour et l’amitié c’est éternel. Tant qu’il y a des hommes sur Terre, il y a une expression d’amour et d’amitié. Et puis, il y a l’idée de réparation puisque le luxe, comme l’amour et l’amitié, ça se répare. Jean-Louis Dumas disait d’ailleurs comme définition du luxe : « Le luxe, c’est ce qui se répare ».

 

Comment accède-t-on au poste de CEO ?

D’abord, il faut en avoir envie donc il y a une ambition, un désir de vouloir avoir de l’impact, de vouloir s’engager, de vouloir diriger des équipes, de vouloir animer le réseau. Il faut avoir l’envie de ce leadership, l’envie d’apprendre. Il faut également avoir les compétences : à la fois un esprit stratégique, une vision à long terme des stratégies, des talents pour l’exécution donc il faut avoir des forces en stratégie et des forces en exécution, des animations d’équipes, de recrutements d’équipes, des forces de communication et de charisme. Puis, il faut pouvoir le prouver puisqu’accéder au poste de CEO c’est avoir prouvé que vous étiez capables d’avoir des stratégies, d’animer des équipes, de recruter des équipes, d’avoir des forces commerciales. Et globalement, « over deliver », si vous « over deliver », si vous délivrez plus que ce que vous avez promis, on vous fait confiance, on va vous donner les responsabilités. Ensuite, il faut faire preuve d’éthique en disant ce que je dis, je le fais, ce que je fais, je le dis donc vous pouvez avoir confiance en moi : c’est de l’éthique. Enfin, il y a l’idée de transmission parce que le CEO il est là pour transmettre à la fois les valeurs, la vision et la mission de la maison et de la marque d’une génération à une autre.

 

Quels sont le rôle et les missions d’un CEO ?

Le rôle d’un CEO est de faire grandir : faire grandir à la fois la désirabilité de la maison et de la marque, le talent des équipes, le réseau distribution, le réseau de fabrication, les designers et les créatifs, le profit ainsi que les ventes. Et pour faire grandir, il faut faire preuve de stratégie, d’être stratège et donc de pouvoir animer les équipes en disant quelles sont les stratégies ? Quelles sont les valeurs de la maison ? Quelles est la mission de la maison ? Quelle est la vision de la maison ? Ensuite, il faut faire grandir les équipes donc cela s’appelle de l’organisation et de la gouvernance. Il faut donc savoir comment on gouverne, comment travaille les Comex, les Codir, comment travaille l’organisation inter-métiers de la maison, inter-pays. Comme disait Coluche : « La vie mettra des pierres sur ta route. À toi de décider d’en faire des murs ou des ponts » donc le rôle d’un CEO c’est d’en faire des ponts, des ponts entre les métiers pour ne pas être en silo, des ponts entre les régions, des ponts entre les marques dans le cadre d’un groupe. Il faut également faire preuve d’éthique pour vraiment être sûr qu’on construit de façon solide et avec une vision à long terme. Puis, il faut avoir cette capacité d’avoir à la fois une vision court terme et long terme de la marque et des équipes en ayant un plan aussi bien sur les trois prochains mois que sur les trois prochaines années. Enfin, le rôle d’un CEO c’est over deliver et d’avoir la confiance : il faut avoir la confiance de ses équipes, de ses fournisseurs, de ses distributeurs, de ses actionnaires, la confiance de toutes les parties prenantes en quelque sorte.

 

Quels sont les qualités et compétences nécessaires pour être un bon CEO ?

Je crois qu’il faut être visionnaire, un bon leader, un animateur d’équipes et il faut générer la confiance. Il faut également servir plutôt que se servir : c’est très important d’être au service de la maison, de la marque, des clients, des équipes, des investisseurs plutôt que se servir soi-même.

 

Quelles sont les difficultés du poste de CEO ?

Je dirais davantage les challenges que les difficultés parce que ce sont des challenges permanents. Ce sont des challenges de gérer à la fois le court terme et le long terme, d’améliorer sans cesse, de surmonter les épreuves (le Covid-19, le changement climatique, des concurrences, des raisons éthiques). C’est également résister aux tentations qui peuvent dévier le parcours de la marque avec comme sur un bateau, le vent et le courant qui font dériver. Il faut sans cesse recentrer la marque sur ses objectifs.

Ce sont des challenges permanents parce que surtout quand on est dans des maisons mondiales, il peut y avoir des difficultés à droite, à gauche et les employés ont une tendance à faire remonter les difficultés au CEO. Donc, ce qu’il faut apprendre en tant que CEO, c’est de dire aux gens : « Tu fais partie de l’équipe, tu n’es pas là que pour monter un problème ». Certes, tu montes un problème mais avec les solutions et après, je te recommande quelle solution est selon moi, la plus adaptée. Il faut ainsi aider tous les membres de l’équipe en disant, dans la vie nous sommes là pour trouver des solutions. En effet, chacun d’entre nous, sur ce chemin de vie, nous sommes tombés 2000 fois avant de savoir marcher. Ça prouve que les crises, les chutes font partie de la vie donc ce n’est pas la fin du monde. En revanche, ce qui est extraordinaire c’est que le rebond est notre ADN humain, c’est-à-dire que oui on se relève sans cesse après une épreuve, après une crise, après une chute et en plus, on se relève en étant meilleur parce qu’on a appris. Nelson Mandela le dit très bien : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ». Il suffit simplement de prendre le recul nécessaire pour apprendre et devenir sans cesse meilleur.

C’est pourquoi, l’exercice que je trouve très important est la relecture. Cela signifie qu’au sein du comité de direction, du Comex, des boards, de toutes les équipes, on doit sans cesse relire chaque exercice, chaque événement, chaque année, chaque ouverture de boutique, chaque lancement de produit, chaque board, chaque événement client. Il faut alors se demander : Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Quelles sont les réussites ? Quelles sont les échecs ? Quelles sont les recommandations ? Et on note tout cela. L’idée c’est d’avoir des recommandations qui font qu’il y a de plus en plus de succès, de moins en moins d’échec et pour cela, on process, on rentre en process, on note ce qu’on a appris et on informe tout le monde pour être sûr que lorsqu’on a commis une erreur dans un pays, la solution soit utile pour tous les pays. Donc c’est ça qui est passionnant, c’est que c’est aussi du collectif. Il faut vraiment créer un esprit collectif dans la maison ou la marque pour que les gens se rendent bien compte qu’ils sont solidaires : toute la marque réussit ensemble ou rate ensemble.

Enfin, il faut bien savoir déléguer pour être sûr que tous les membres des équipes soient heureux puisqu’ils ont à la fois un métier qui a du sens, un métier qui a de l’impact et puis ils peuvent grandir puisqu’un jour ou l’autre, le CEO ne sera plus là. La marque est là pour toujours mais lui, il est là de façon temporaire, un jour il faut qu’il transmette sa place à quelqu’un d’autre.

 

En quoi consiste vos fonctions actuelles de Board member, investisseur et accompagnateur de startups et qu’est-ce qui vous enthousiasme le plus dans celles-ci ?

Ce qui est passionnant dans tous ces métiers-là est d’aider à améliorer, d’aider à ce que chaque maison s’améliore. Certes, il y a des problèmes dans notre monde actuel mais ces problèmes nous ont rapproché, à l’image du Covid-19. On n’a jamais connu ce genre de crise : on a des crises économiques tous les 10 ans mais des crises sanitaires comme celles-ci, c’est tous les siècles. Or, personne d’entre nous n’était là en 1920. Et, cette crise nous a appris une solidarité, que chacun d’entre nous doit faire des gestes pour se protéger : des gestes barrières, un masque, un vaccin ou le télétravail. Plus que cela, dans chaque crise, il y a une opportunité. La crise du Covid-19 a par exemple été une formidable accélération du digital.

C’est un entrainement parce que maintenant il y a une autre crise devant nous qui est aussi mondiale et globale : la crise du changement climatique. Alors là c’est plus compliqué parce qu’il n’y a pas de vaccin et on risque d’avoir Dubaï sous l’eau, Miami sous l’eau, New York sous l’eau, le Vietnam sous l’eau, le Bangladesh sous l’eau avec 100 millions d’habitants. Ainsi, tout le monde doit réagir puisque chacun d’entre nous contribue aujourd’hui à 12 tonnes de carbones par an et il faut qu’on passe de 12 tonnes à 2 tonnes, ce qui est disruptif. Ce qui est intéressant, c’est que cela concerne tout le monde, toutes les marques, tous les services puisque les clients, les investisseurs, les gouvernements et les distributeurs font pression en privilégiant des marques qui font davantage de choses pour la planète. Dès lors, il y a actuellement le pass sanitaire pour aider à surmonter la crise du Covid-19 et bientôt, je pense qu’il y aura une forme de pass climatique. En effet, il y aura des labels sur les produits en indiquant si le produit a un bon impact sur l’environnement avec une échelle de 1 à 10 par exemple. Cela permettra à tous les clients, à tous les salariés, à tous les investisseurs de se dire je choisis ceux qui sont les mieux-disants. Donc, on ne va pas être décarboné en 5 minutes, simplement il s’agit d’avoir un meilleur impact environnemental en 2022 qu’en 2021, en 2023 qu’en 2022 et ainsi de suite.

 

Qu’est-ce que vous a apporté votre parcours à l’international dans votre vie professionnelle et personnelle ?

En effet, j’ai travaillé et vécu en Belgique, aux États-Unis à deux reprises, en Angleterre, en Suisse et puis, j’ai voyagé dans le monde entier puisqu’on était présent en Asie, en Russie, au Moyen-Orient, en Amérique donc j’étais présent dans tous les pays du monde et je trouve cela passionnant. À ce sujet, il y a un très beau livre que je vous recommande qui s’appelle Une vie pour se mettre au monde de Marie de Hennezel où elle écrit cette très belle phrase : « On a une vie pour se mettre au monde ». Cela signifie que nous ne sommes pas mis au monde à la maternité, à 7 ans (l’âge de la raison) ou à 18 ans (l’âge de la majorité) et ce ne sont pas nos parents, notre professeur ou notre directeur qui nous met au monde mais c’est nous-même. C’est une responsabilité d’une vie entière et c’est « mis au monde » : nous ne sommes pas mis dans notre ville d’origine, dans notre pays ou dans notre continent et donc notre horizon est mondial. Ainsi, c’est fascinant de pouvoir vivre dans des pays différents puisqu’on s’aperçoit qu’à la fois on est tous humains mais le comportement des équipes américaines, japonaises, chinoises, russes, anglaises n’est pas le même. De ce fait, il est intéressant de se dire : comment est-ce qu’on va communiquer les valeurs, la vision et la mission de la marque et qu’est-ce qu’on va apprendre des autres pays ? Parce que par exemple, le digital c’est l’Amérique qui nous l’a beaucoup appris donc chaque pays nous apprends quelque chose et notre rôle c’est de faire des ponts entre les pays pour que les meilleures leçons d’un pays servent à l’autre.

D’un point de vue personnel, c’est très intéressant parce que moi j’ai vécu à l’étranger en famille, à la fin j’étais marié et avec 3 enfants. Et lorsqu’on part dans un autre pays, ça rassemble le couple et la famille puisqu’on s’adapte tous à un nouveau pays, à un nouvel environnement. C’est notre destin car comme dit précédemment nous sommes « mis au monde ». Il convient d’ailleurs dans ce cas-là de prendre soin de nos 4 as. Chacun d’entre nous, nous avons 4 as en tant qu’humains, et au même titre qu’une chaise qui a 4 pieds est stable, lorsqu’on prend soin de nos 4 as nous sommes stables dans notre vie. Les 4 as des humains, hommes et femmes, sont : notre corps (ce que l’on fait pour prendre soin de notre corps, même quand il y a beaucoup de stress au travail), notre esprit (ce que l’on fait pour prendre soin de notre esprit, c’est-à-dire sans cesse l’alimenter pour continuer à apprendre), notre cœur (ce que l’on fait pour être affectif avec les êtres qui nous sont chers), notre âme (cultiver notre spiritualité qui nous tire vers le haut, qui nous fait comprendre aussi que nous sommes mortels, ce pourquoi il y a beaucoup de sens et beaucoup d’impact dans ce que nous faisons car nous ne sommes pas là pour plus de 100 ans).

 

Quels seront selon vous les enjeux et évolutions majeurs de demain pour le secteur du luxe ?

C’est une réinvention perpétuelle pour améliorer l’expérience client à travers le digital désormais qui est vraiment une nouvelle façon d’être en relation avec les clients et c’est passionnant. Il y a la Chine également qui représentait seulement 1% du marché du luxe en 2000 et qui va représenter en 2023, 50% du marché du luxe.Puis, je pense que la créativité est un never ending challenge et défi. Il faut faire vivre les icônes, il faut créer de nouveaux produits, il faut peut-être se diversifier dans de nouvelles catégories. Par exemple, Hermès est maintenant dans la beauté et la majorité des marques de mode se lancent dans la joaillerie et l’horlogerie.

Ensuite, je pense que ce qui est devant nous, c’est vraiment l’occasion. Comme solution pour un pays décarboné, c’est le second-hand, vintage, pre-owned, pre-loved. J’ai compris cela quand j’étais président de Cartier aux États-Unis et que je suis allé voir Tourneau (principal distributeur de montres aux États-Unis), qui m’a dit que ses best-sellers étaient : Rolex, pre-owned, Cartier. Cela fait d’ailleurs écho à la citation d’Antoine de Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ». Donc c’est une sorte d’économie circulaire et il y a là une opportunité majeure. Quand j’étais CEO Monde de Van Cleef & Arpels, j’avais installé un système où on rachetait les pièces de haute joaillerie de nos clients. Dans l’atelier, « les mains d’or » étaient fascinées par des pièces des années 1930-1940. Quant à l’acheteur, il était ravi parce qu’il a quelque chose qui est authentifié, ce qui est primordial étant donné que la contrefaçon avoisine 25% des ventes dans le luxe. Chez Cartier, j’avais également accéléré cela et maintenant, de plus en plus de marques le font : Richard Mille a commencé à ouvrir une boutique en Angleterre qui ne fait que du second-hand, Vacheron Constantin va mettre dans toutes ses boutiques des corner second-hand, etc. Et les groupes s’y mettent également puisque par exemple, le groupe Kering a racheté une partie de Vestiaire Collective et le groupe Richemont a racheté Watchfinder. Donc je pense qu’ultimement, toutes les marques, toutes les maisons vont se dire : « Il faut que je répare ». Non seulement, je crée, je fabrique, je vends mais il faut que je répare. Ainsi, le service après-vente va être clé.

C’est une période fascinante parce que, dans l’histoire, David et Goliath se tuaient mais à présent, ils s’aident. En effet, de plus en plus de grandes sociétés travaillent avec des startups et cela est récompensé par un prix créé par le fonds d’investissement Raise. Par ailleurs, le Comité Colbert, très bien dirigé par sa déléguée générale Bénédicte Épinay, a créé cette année un carnet d’inspiration qui a demandé aux 90 maisons de luxe du Comité Colbert de partager leurs solutions pour aider aux objectifs des Nations unies. Et dans ce carnet, elle cite deux startups qui proposent des solutions très convaincantes. D’une part, il y a la startup ReValorem, très intelligente puisqu’elle démonte les invendus et redonne aux marques 65% des matières premières alors qu’autrefois les marques les brûlaient. C’était notamment le cas de Burberry, ce qui avait engendré un gros scandale autrefois et désormais, à partir du 1er janvier 2022, c’est interdit. D’autre part, il y a la startup Reflaunt qui permet d’intégrer le second-hand, vintage, pre-owned, pre-loved, dans les marques de luxe et de mode. Il existe d’autres très bonnes idées pour faire face aux enjeux de demain. Par exemple, Luxurynsight, créé par Jonathan Siboni, le Bloomberg des datas du luxe permet à tout le monde de comprendre les enjeux actuels pour le secteur du luxe. Il y a également Clear Fashion, qui est en quelque sorte le Yuka de la mode, pour savoir si ce que vous achetez est positif ou négatif pour l’environnement. Enfin, il y’a Restory qui est le Farfetch de la réparation et qui vous met en relation avec des talents locaux pour réparer vos objets qui en ont besoin. Donc les idées ne manquent pas pour faire face aux défis du monde de demain.

 

Selon vous, comment est-il possible de conserver une belle expérience client dans un monde qui se digitalise de plus en plus ?

De génération en génération, il y a de nouveaux outils et moi je dirais que ce n’est pas conserver une belle expérience client, c’est améliorer l’expérience client avec le digital. Le digital va permettre de contacter les clients plus facilement, les clients ne seront plus forcément obligés de venir en boutique car tout le monde ne peut pas venir. En effet, la joaillerie c’est 80% retail donc il n’y a pas des boutiques dans toutes les villes du monde alors qu’avec le digital on peut parler au client tout le temps. Nous au démarrage, j’avais vu des résistances puis avec Whatsapp on a réussi à vendre des pièces de joaillerie de plusieurs millions d’euros. Parce que, le plus important c’est la confiance : j’ai confiance en quelqu’un donc je vois que c’est très bien mais après s’il part dans le digital, c’est très intéressant aussi. Par exemple, on voit de plus en plus les NFT. Les NFT, c’est une nouvelle émotion qui arrive et le plus important, c’est de créer toujours des émotions. Alors, tous ces outils ne remplacent pas le physique, ils sont complémentaires, c’est-à-dire que c’est toujours un plaisir d’aller dans la boutique mais en plus, il y a tous ces outils à disposition. Ces outils aident à expliquer la marque, à expliquer la créativité. Puis, plus que cela, le digital a sauvé beaucoup de marques de luxe au moment du Covid-19 quand toutes les boutiques étaient fermées. Enfin, ce qui est passionnant aussi, c’est que c’est une nouvelle génération donc il faut réinventer tous les talents, que ce soient les femmes ou les hommes qui rejoignent des maisons de luxe.

 

Enfin, avez-vous des conseils pour les étudiants intéressés par le secteur du luxe ?

D’abord, si cela vous passionne cultivez-vous, allez visiter les boutiques, faites des stages dans le secteur du luxe, lisez des livres sur le luxe, abonnez-vous aux podcasts et aux comptes Instagram  de Luxurynsight, de toutes les marques de luxe. Également, mettez-vous en contact avec les alumni de votre école car quel que soit l’école où vous êtes, il y a des alumni qui sont dans le luxe donc contactez-les pour dire : « Ça m’intéresse, est-ce que vous pouvez m’expliquer quelque chose ? ». Parce que vous savez bien, moi je crois en la puissance du réseau donc quel que soit l’école, vous avez des anciens ou peut-être même dans votre famille vous avez des anciens qui sont dans le luxe et bien contactez-les, mettez-vous en contact avec LinkedIn et puis allez les voir, prenez des rendez-vous et demandez-leur : « Est-ce que vous pouvez me conseiller quelque chose, une maison, une marque, un challenge ? ».

 

Lire plus : Interview d’Audrey Lissajoux – Retail Operations Manager France & Monaco chez Van Cleef & Arpels.