
Interview de Jeanne Le Peillet, fondatrice de Beink
Rencontre avec Jeanne Le Peillet, fondatrice de Beink, qui a participé à l’émission « Qui veut être mon associé ? » et levé 500 000 euros pour 15% du capital auprès de Kelly Massol.
Bonjour Jeanne, peux-tu nous parler de ton parcours ?
Je suis scientifique, née dans une famille d’artistes. Mon parcours a été dirigé par une ambition : devenir spécialiste de tout ! Cela venait du fait que j’admirais les savants, qui sont aussi bons en science qu’en dessin, comme Leonard de Vinci par exemple. Cela m’a impressionnée, car les personnes capables de discuter de tout sont à la croisée des chemins et ont la possibilité de se faire comprendre de tous.
J’ai fait mes débuts dans un collège en ZEP en ayant une LV2 chinois. Le lycée Louis le Grand prenait cette année là une personne de mon collège, et j’ai été chanceuse d’être prise. Bien sûr, la classe de seconde a été rude !
Les lycées d’excellence comme Louis le Grand poussent plus vers la prépa que vers l’université. Je trouvais l’université trop mono-disciplinaire à mon goût, alors que la prépa est pluridisciplinaire (mathématiques, physique, chimie, biologie, anglais, géologie et géographie, philosophie, informatique). C’est ainsi que j’ai fait deux ans de CPGE BCPST à Fénelon.
Ensuite, j’ai passé les concours des écoles d’ingénieurs, avec une suite logique en école d’agronomie ou de vétérinaire. Quand je suis arrivée à l’ENSAIA, et j’ai complètement déchanté, car je me suis rendue compte que je n’étais pas intéressée par l’agronomie. J’étais plutôt passionnée par la génétique : cela est tellement petit que tu es à la frontière entre la physique et la biologique. Ainsi, j’ai trouvé une université à Taiwan dans ce domaine où j’ai fait une mobilité internationale pendant six mois.
En dernière année, j’ai fait un double cursus cycle ingénieur et master recherche à l’Université de Lorraine, pour mettre toutes les chances de mon côté dans l’optique de candidater au concours d’une école doctoraleet éviter des soucis potentiels liés à l’équivalence des diplômes. Avant d’être diplômée de mon master recherche, j’ai commencé à démarcher les laboratoires pour discuter avec eux et leur exprimer mon souhait de faire une thèse à la fin de l’année.
À la suite de ma recherche, j’ai découvert une équipe de recherche passionnée et passionnante, qui ne pouvait pas me prendre en thèse, mais qui m’a sollicitée pour un tout autre projet, encore secret à l’époque : l’encodage de données numériques dans l’ADN. Ainsi, de 2018 à 2019, j’ai travaillé un an sur ce projet, au sein de l’Institut de Biologie Physico-Chimique, et j’ai eu le plaisir de co-inventer un brevet sur l’encodage de données numériques dans l’ADN.
Cependant, j’avais très envie de faire une thèse et j’ai ainsi rencontré mon directeur de thèse parmi les co-inventeurs du brevet. Ma thèse s’est faite à Sorbonne Université, dans l’Institut de Biologie Paris Seine, sur de la génétique fondamentale : comprendre le fonctionnement d’une protéine impliquée dans la genèse de certains cancers chez les humains. Les manipulations se sont faites sur l’organisme modèle levure.
A travers cette thèse soutenue en octobre 2022, le but était aussi d’asseoir ma légitimité et mes compétences.
En parallèle, j’adorais le dessin et je m’en servais pour apprendre, comprendre et communiquer. Je me suis rendue compte que lorsqu’on dessine, on se pose des questions qu’on ne se poserait pas autrement. Le dessin est donc un outil de réflexion incroyable.
Avec cette double compétence art-science et cette capacité de visualisation des choses, j’ai été beaucoup sollicitée tout au long de mon parcours scientifique par des laboratoires, des universités et des entreprises, pour mettre en image leurs technologies, leurs innovations ou leurs résultats de recherche, en détail et sans déperdition d’informations. La volonté est que n’importe quel créateur puisse faire mûrir son idée par lui-même et la communiquer à d’autres, pour collaborer et co-créer à plusieurs.
Le projet a beaucoup évolué jusqu’à aujourd’hui et la création de Beink Dream. En effet, au départ, je ne savais même pas ce qu’étais l’entrepreneuriat ! Le projet a changé de dimension, quand j’ai eu l’opportunité d’être accompagnée par le réseau Pépite à Sorbonne Université. J’ai suivi le D2E (Diplôme Etudiant Entrepreneur) de Pépite.
En outre, grâce à mon projet, j’ai été lauréate de Pépite IDF et Pépite France en 2022 puis Pépite des PEPITE en 2023, ce qui a apporté 10 000 euros à l’entreprise. Ce premier apport a été très important pour démarrer l’effet boule de neige des financements pour les startups. Car plus tu as de financements et plus tu peux lever des fonds. Le plus dur est de « démarrer la boule de neige » et c’est Pépite, accompagné d’un premier Business Angel Emeric Mahé, qui ont permis ce démarrage. Dès l’obtention de mon diplôme de thèse, j’ai alors fait le pari de me consacrer à temps plein à mon projet entrepreneurial.
En plus du réseau Pépite, j’ai également été soutenue par les réseaux Sorbonne, Willa, Moovjee, L-Impact, Réseau Entreprendre Essonne, Cap Créa, BPIFrance ce qui m’a ouvert à de nombreuses opportunités. Le fait d’être une femme dans la DeepTech – milieu très masculin – a certainement contribué à être appelée à témoigner devant un certain nombre de communautés. J’aimerais vivre dans un monde où il n’y ait plus besoin d’inviter les femmes à pitcher dans des catégories telles que « entrepreneuriat féminin » : car le genre est quelque chose qui nous est assigné à la naissance et sur lequel on n’a pas eu d’emprise. Je préfèrerais être catégorisée par rapport à mes choix de vie et de carrière, mes diplômes ou mon secteur d’activité !
Mon projet a été incubé à Pépite Startup de Station F, Matrice Cube, et désormais à Agoranov. Le projet évolue auprès de ses clients, et l’équipe grandit en même temps. C’est une équipe compétente à haut niveau d’expertise.
A savoir : j’ai fait le concours « Ma thèse en 180 secondes »
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Vous avez fait une CPGE BCPST, que vous a apporté la prépa dans votre vie personnelle et professionnelle ?
La charge de travail est très intense en prépa, donc j’ai pu développer une grande capacité d’organisation. Cela m’est utile dans ma vie d’entrepreneure (> 70 h de travail par semaine), car j’arrive tous les jours à m’octroyer un petit moment avec les proches, ou bien pour faire du sport et du dessin. Ce sont des petits moments importants, qui permettent de te construire en tant que toi et te sentir épanoui.
J’ai aussi appris la résilience et ce côté combattant car en prépa, comme en thèse ou même à Louis le Grand, il y a des moments durs, comme en entrepreneuriat.
Ensuite, vous avez choisi de rejoindre l’ENSAIA. Pourquoi ce choix ? Qu’avez-vous appris dans cette école d’ingénieurs spécialisée dans l’agronomie ?
L’ENSIA n’était pas mon premier choix d’école. J’ai donc dû gérer la déception. Mais j’ai appris que peu importe là où tu arrives, ce qui compte est de se donner les moyens d’atteindre quelque chose qui te plaît ! Il faut donc aller rencontrer les personnes et être moteur de ton parcours.
Au cours de votre cursus Grande Ecole, vous avez fait un double-master avec l’Université de Lorraine. Quelles sont les différences entre une Grande Ecole et l’Université ? Pourquoi avoir fait un double master ? Quels en sont les avantages ?
Le choix a été uniquement stratégique. En effet, je voulais faire une thèse en passant le concours de l’école doctorale. Ce concours nécessite un master, or même si le grade d’ingénieur en est l’équivalent, je ne voulais pas m’embêter avec des justifications.
L’objectif était aussi d’acquérir une expérience dans un cursus universitaire que j’avais la curiosité de découvrir. Ce master m’a permis de réaliser un stage dans un laboratoire de recherche.
Après la Grande Ecole, vous avez choisi de réaliser un doctorat. En quoi un doctorat est-il avantageux ? Sur quoi portait votre sujet ?
Une des raisons pour laquelle j’ai voulu faire un doctorat réside dans l’envie d’avoir un diplôme reconnu à l’étranger, où je souhaitais retourner un jour travailler.
Ces 3 ans apportent de l’autonomie dans la gestion de projet, car tu démarres un projet sur lequel tu ne connais pas encore grand-chose et tu en sors spécialiste. L’autonomie et la rigueur sont deux compétences clés développées en thèse, car tu dois aller chercher les informations et chacune doit être méticuleusement vérifiée et vérifiable !. Il y a une grande responsabilité éthique, puisque tu publies dans des revues scientifiques, ce qui induit d’être clair et précis dans son raisonnement. Ceci est une belle expérience de vie, qui apprend à rester humble.
Je trouve très pertinent la double casquette cycle ingénieur et thèse avec une coupure professionnelle au milieu, car il permet de sortir de la condition d’étudiants et se positionner directement comme un diplômé ou chercheur.
Vous avez lancé Beink Dream en 2023. D’où est venu le constat de créer cette entreprise ?
C’est en étant amenée à dessiner pour les autres personnes que je me suis rendue compte à quel point le dessin est un outil puissant de communication et de réflexion. J’ai donc voulu permettre à tous les créateurs de connaissance d’accéder à cet incroyable outil qu’est le dessin, pour décupler leur réflexion.
Quelles ont été les difficultés pour Beink Dream depuis sa création ? Comment les avez-vous surmontés ?
Il a été très compliqué d’avoir accès à des financements, étant seule porteuse du projet au départ et n’étant moi-même pas spécialiste de l’IA, et sans pedigree dans l’entrepreneuriat. Heureusement, j’ai été très soutenue par les réseaux cités.
C’est facile d’embarquer des personnes sur Beink Dream, mais de là à leurs faire prendre le risque d’entreprendre à nos côtés il y a parfois un monde ! Par exemple, ma CTO a mis deux ans avant de me rejoindre à plein temps, et je suis super contente de son choix ! Il y a une grande différence entre l’intérêt des personnes pour un projet et le risque qu’elles sont prêtes à prendre pour celui-ci.
A savoir : aujourd’hui, plusieurs associés ont des parts dans l’entreprise et nous sommes déjà sept.
Zoom sur la journée d’une CEO. Qu’avez-vous fait hier ?
J’ai terminé la fiche de poste de mon salarié, qui arrive la semaine prochaine dans l’entreprise. Ensuite, j’ai eu des réunions sur la manière de mettre en place le crédit impôt recherche notamment. Un moment de ma journée fut consacré à traiter mes mails, qui sont toujours trop nombreux. Puis, j’ai eu une session de 3 h de travail sur la partie commerciale avec mon équipe. Et à la fin de la journée, j’ai regardé notre passage dans l’émission QVEMA avec mes amis et mon équipe dans l’incubateur Matrice Cube !
Vous êtes passée dans QVEMA pour présenter votre projet. Comment s’est déroulé l’émission (prise de contact, moment du tournage). Avez-vous des anecdotes à nous raconter ?
Ma première prise de contact pour l’émission QVEMA était en avril 2023, avec Marion Gaufroy, journaliste pour l’émission. Or, à ce moment-là, je n’avais aucun financement, un tout juste début d’équipe et pas encore de prototype, et je venais à peine de déposer les statuts de mon entreprise. Donc, j’ai dû créer un prototype entre fin avril et fin septembre, et grâce au super développeur de mon équipe, défi relevé !. En septembre j’avais convaincu note premier Business Angel, obtenu plusieurs subventions et accueilli ma nouvelle associée et CFO. La veille du tournage, j’ai appris que la CTO me rejoignait à plein temps : je venais de constituer une équipe de 5 personnes la veille du tournage ! Un pari qui s’est révélé payant.
Sur le plateau, la discussion a duré 1 h 30, mais on n’en voit que 15 à 20 minutes lors de l’émission télévisée. L’équipe de l’émission était incroyable et lorsque j’ai regardé l’émission, j’ai été très émue en voyant la réaction sur les visages des investisseurs présents.
Que vous a apporté QVEMA et les investisseurs ?
L’arrivée de Kelly Massol au capital (500 000 euros pour 15%) a été signée fin janvier, les échanges entre les avocats de Kelly Massol et les miens se sont très bien déroulés.
Les IA sont majoritairement américaines aujourd’hui, donc la captation des données pose un vrai problème et déséquilibre totalement la balance géopolitique mondiale : « Maintenant, le roi du pétrole est celui qui détient les données sur les personnes ». Et ce n’est clairement pas l’Europe. Personnellement, j’ai envie de développer une IA de confiance, sous le règlement RGPD de l’Europe. Nos IA sont entraînées sur des données de clients avec leur accord et avec le support de serveurs 100% français. Donc c’est toute une réflexion éthique et géopolitique qui est mise en place chez Beink Dream. Toute l’équipe est d’ailleurs dans cette dynamique.
Kelly Massol nous a fait gagner au moins 8 mois de travail en me permettant de recruter des profils exceptionnels. Ainsi, nous allons sortir notre API propriétaire dans quelques mois.
Le mot de la fin
Quand on donne du temps et de l’intérêt aux personnes, elles t’en donnent en retour. Il faut en quelque sorte donner de l’amour autour de soi, ce qui permet de construire des relations solides et de confiance.
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