Rencontre avec Fouziya Bouzerda, DG de GEM : « l’élitisme enferme, l’excellence se partage »

Rencontre avec Fouziya Bouzerda, DG de GEM : « l’élitisme enferme, l’excellence se partage »

Rencontre avec Fouziya Bouzerda, Directrice Générale de GEM depuis 2022. Zoom sur l’évolution de l’école, de sa stratégie et de ses ambitions futures.

 

Bonjour Fouziya, pourriez-vous vous présenter et revenir sur votre parcours ? 

Je suis lyonnaise et née d’une famille immigrée, avec un père ouvrier et une mère au foyer. Je suis allée à la fac de droit à Lyon 3 pour suivre un DEA droit privé et de sciences criminelles. Ensuite, j’ai passé le concours pour intégrer l’EDARA (L’Ecole des Avocats Rhône-Alpes) et suis devenue avocate, un métier que j’ai exercé pendant 25 ans de 1997 à 2022, et j’ai fondé un cabinet en droit public des affaires, stratégie, urbanisme et construction.

De 2014 à 2020, j’ai été élue adjointe de Gérard Collomb, Maire de Lyon, en tant que Déléguée au Commerce, à l’Artisanat et au Développement Economique et Vice-Présidente au Développement Economique de la Métropole de Lyon. De 2017 à 2020, j’ai dirigé le SYTRAL (les transports en commun lyonnais).

En 2022, ma carrière professionnelle a pris un nouveau tournant, avec mon arrivée à GEM où il y a un vrai enjeu de transformation pour développer l’école de 2030.

 

En quoi votre profil atypique (en tant que dirigeante d’une Grande École) est-il un atout pour Grenoble Ecole de Management ? 

Pour être honnête, je suis toujours très surprise de l’étonnement suscité par mon parcours antérieur, effectivement riche en expériences professionnelles, économiques et institutionnelles. En effet, nous expliquons à nos étudiants que nous ne les formons pas à une seule compétence ou un seul métier, mais nous leur assurons une formation multidisciplinaire et les accompagnons à être agile professionnellement, à être des acteurs et à saisir des opportunités, sans jamais cesser d’apprendre. C’est exactement ce que j’ai fait. Quand nous avions établi le schéma de développement économique la Métropole de Lyon en 2016, l’une des projections était que d’ici 2030 60 % des métiers allaient disparaître.

Personnellement, j’ai été formée à l’Université de droit de Lyon 3 au sein de laquelle j’ai enseigné, ce qui m’a permis de développer mon esprit d’analyse, de gestion des risques et de conviction, une compétence utile dans tous les métiers. C’est un métier exigeant mais d’une richesse incroyable.

Du fait de mon histoire personnelle et de mon parcours, je suis très engagée depuis toujours sur les questions liées à l’émancipation par l’éducation et l’insertion économique, l’accès aux hautes responsabilités, l’accompagnement des femmes dans la création d’entreprises et la diversité des talents. Passer de la gestion individuelle de la solidarité au portail collectif et associatif de ces enjeux a été particulièrement formateur tant cela mobilise d’énergie, de convictions et d’investissement bénévole mais professionnel.

En ce sens, ma nomination à Grenoble Ecole de Management est le fruit d’un parcours et constitue un choix fort pour moi en phase avec mes convictions et mes valeurs. J’ai ainsi eu la chance de vivre des expériences incroyables et d’évoluer dans des sphères différentes avec la capacité à décrypter les enjeux et adresser des interlocuteurs très différents (clients, citoyens, étudiants, acteurs économiques, institutionnels, politiques…).

Cela me permet de mobiliser mon énergie et mes compétences au service d’une école incroyable et singulière, que je connaissais bien sûr, avec un enjeu fort d’accompagnement dans sa transition au service de nos étudiants et partenaires, en mobilisant des leviers de transformation dans un secteur, l’enseignement supérieur, qui n’a pas bougé (ou presque !) depuis 30 ans. Or, nous sommes à l’aune d’un bouleversement sociétal qui se reflète également sur les enjeux de formation en général, qu’il s’agisse de pédagogie avec l’arrivée de l’IA, de la complexification du monde nécessitant des compétences diverses, la transformation des métiers et les attentes fortes à l’égard de nos écoles pour former des acteurs agiles chargés de résoudre ces multiples injonctions contradictoires.

Ce défi, GEM est armée pour le relever car elle s’est depuis très longtemps démarquée par son innovation, son positionnement sur l’hybridation des compétences (géopolitique, design, IA, technologies) et son positionnement très fort et culturel au service des transitions.

 

Lire plus : Interview de Simon Boypa, athlète professionnel et étudiant à Grenoble Ecole de Management

 

Quel bilan faites-vous depuis votre arrivée à la tête de GEM, en septembre 2022 ? 

Tout d’abord, il a fallu faire un point sur les objectifs de l’école, c’est-à-dire quelle business school nous voulons être. L’enjeu était aussi de nous réorganiser pour être plus transversaux et gagner en agilité, en renforçant l’identité d’innovation forte de notre école reconnue dans l’enseignement supérieur.

Lors de la première année, nous avons effectué une première refonte de notre portfolio (MBA, PGE, International BBA en 4 ans et Bachelor en 3 ans…), en repassant devant la CEFDG. 10 nouveaux MSc ont été lancés, en identifiant les forces de notre écosystème d’innovation incroyable, qu’est Grenoble (un bassin unique de chercheurs internationaux de renom et d’entreprises stratégiques dans la micro-électronique avec ST Microelectronics par exemple, l’énergie avec Schneider Electric…).

Nous avons également renforcé l’hybridation des programmes et fait viser et grader notre diplôme de manager-ingénieur par la CDEFG. L’objectif est d’aller encore plus loin sur le renforcement d’une offre post bac professionnalisante hybridée tech ainsi que sur les partenariats avec les doubles et les triples diplômes. Par ailleurs, nous avons inauguré notre nouveau campus en septembre 2023 à Paris, donc nous avons la capacité de déployer nos programmes à Paris et à Grenoble.

Enfin, l’autonomie stratégique de la France se joue en partie à Grenoble, et GEM est très intégrée à l’écosystème incroyable de la deep tech. Elle doit mobiliser cette expertise développée avec ses partenaires dans le cadre de l’IRT NANOELEC et des 3IA. L’école ne se limite pas à parler nativement le langage de l’innovation, mais elle porte, notamment dans le cadre du campus scientifique Giant (dons nous sommes membres fondateurs avec le CNRS, l’Université Grenoble Alpes, le CEA), une ambition d’ingénierie pédagogique et de formation sur le territoire. Nous accompagnons également la stratégie internationale d’attractivité du territoire pour former des managers et des ingénieurs, afin qu’ils intègrent cet écosystème d’innovation au rayonnement national et international.

A savoir : Grenoble est la ville en France qui comporte le plus de startup spécialisée dans la deeptech.

GEM a inauguré à la rentrée 2023, son nouveau campus parisien à Pantin

Sous votre égide, les principaux programmes de GEM ont été repensés (BBA, PGE…). Pourquoi cette refonte du portefeuille académique ? 

Les nouveaux masters sont en phase avec les compétences des enseignants-chercheurs et des entreprises du territoire : par exemple, nous avons eu sept articles scientifiques (co)publiés par des Enseignants-Chercheurs de Grenoble Ecole de Management dans le rapport du 04 avril 2022 du GIEC. Donc c’est tout naturellement qu’ils ont été mis à contribution pour le nouveau MSc Energy Business & Climate Strategy.

La refonte du PGE s’est faite en lien avec l’identité de l’école, centrée sur l’innovation et l’hybridation des compétences, à l’image de nos MS et de notre MBA (gradé cette année). Il y a aussi la possibilité désormais de suivre le M1 et le M2 en alternance. Nous avons également repositionné notre offre post-bac, pour avoir une offre cohérente sur Paris et Grenoble.

La stratégie de l’école est d’offrir une pédagogie immersive, qui s’illustre avec le nouveau cours virtuel interactif sur les transitions, basé sur un business-case de Rossignol (une entreprise grenobloise spécialisée dans la fabrication de matériels de sports d’hiver.) et financé par des acteurs du territoire. Par ailleurs, nous avons la chance d’avoir le GEM Labs, qui permet de concrètement créer l’innovation (avec par exemple, une application pour mesurer la culture et la progression dans l’innovation durable).

En conclusion, nous voulons que nos étudiants puissent vivre l’expérience la plus individualisée possible, en termes de compétences et de pédagogie.Tous les cours du PGE se déroulent en format TD (40 étudiants par classe) : certains diront que c’est assez conservateur et traditionnel, mais cela reste efficace !

L’atout en plus : GEM forme des étudiants du post-bac au DBA qui fêtera ses 30 ans : très peu de grandes écoles proposent cette offre complète en France.

 

Lire plus : Les nouveautés du PGE de GEM : international en L3, alternance boostée, Paris…

 

Les étudiants de GEM sont très plébiscités par les recruteurs : quels sont les dispositifs mis en place pour favoriser l’employabilité ? 

Dernièrement, nous avons organisé le Career Fair  en investissant l’ensemble de l’école durant deux jours, afin de donner suffisamment de temps aux étudiants et aux entreprises. Cet évènement est plébiscité pour son format, la durée et pour les rencontres avec les entreprises et nos alumnis sont toujours très présents.

De plus, nous avons reposé les bases d’un partenariat stratégique, avec certaines entreprises, comme JC Decaux et Hermès, basées à proximité de notre campus parisien.

Enfin, nous avons fait le choix assumé de rendre encore plus accessible l’alternance pendant le M1 et le M2, dans une optique d’employabilité, mais aussi d’ouverture sociale (les étudiants ne paient pas leurs frais de scolarité et obtiennent un salaire à la fin du mois.) Il n’y a aucun numerus clausus à GEM et nous avons un service dédié d’accompagnement de nos alternants pour trouver leur entreprise avec un CFA intégré.

GEM, c’est aussi 21 associations, une spécificité de l’école est justement d’avoir des effectifs importants… Pourquoi ce choix ? Quelle volonté ? 

J’ai eu plusieurs engagements associatifs (notamment, Présidente de l’association Femmes au cœur de l’économie entre 2012 et 2018). Cela a été une vraie formation professionnalisante, pour acquérir des compétences (capacité à fédérer, faire partager des valeurs et essaimer). Donc, c’est tout naturellement que la vie associative à GEM est quelque chose de fondamental à mes yeux.

Nous assumons d’avoir des associations très importantes en nombre d’adhérents, car cela permet aux étudiants d’acquérir de nombreuses compétences, dans l’organisation d’événements, avec des budgets conséquents : jusqu’à 850 000 euros pour l’association Altigliss et un millier de participants au GEM Altigliss challenge. Il est très rare de disposer d’autant de budgets en entreprise et de piloter des associations de cette importance.

Dès que je parle de GEM en dehors de l’école, je parle toujours de la vie associative, car c’est une formidable richesse à mes yeux. Par exemple, je propose à chaque personnalité ou CEO invitée à GEM, de débattre, grâce à l’association GEM En Débat.

Le cœur de la vie associative : l’élection fait partie de l’expérience associative, ou l’on se met en situation de s’exposer, une expérience qui permet de prendre confiance en soi.

Le GEM Altigliss Challenge se déroule du 16 au 23 mars 2024 à Val d'Isère

GEM progresse dans tous les classements (nationaux, internationaux, extra-académiques…), qu’est-ce qui explique cette « reconquête » ? 

Cette « reconquête » s’explique par la nouvelle dynamique de l’école, dans sa stratégie de programmes, dans l’amélioration de l’expérience étudiante de très grande qualité, le développement des partenariats avec les entreprises et des universités internationales de très haut niveau. 

Comme vous le savez, les classements, c’est faire et faire savoir. Nous devons continuer à bien faire les choses, mais nous devons progresser dans le « faire savoir », notamment de nos verticales alliant des enseignant chercheurs reconnus dans leur expertise, des chaires animant un écosystème complet, et des programmes : Finance, Energie, Sport, Intelligence artificielle, Luxe et bien sûr géopolitique

A noter : Les classements ne prennent pas tous les paramètres d’une école en compte.

 

GEM : c’est un nouveau campus parisien. En quoi ce nouveau campus va-t-il changer la dimension de GEM ? 

Il y avait une demande très forte pour un campus à Paris, notamment avec l’apprentissage, car les étudiants sont souvent en alternance dans de très grands groupes parisiens.

Ainsi, le PGE, les programmes internationaux et les nouveaux MSc notamment dans le luxe sont dispensés à Paris, d’autant plus que nous sommes situés à proximité d’Hermès et Chanel, qui font parties de nos entreprises partenaires.

Ce campus a été conçu en phase avec l’ADN de l’école, très engagée sur la transition écologique. En effet, le campus est bas-carbone, avec des sources d’énergie renouvelable (géothermie, panneaux solaires), ce qui lui a permis d’obtenir le label HQE (Haute Qualité Environnementale) et de nombreux prix.

Au niveau de la vie associative, nous avons pour ambition de développer un tissu associatif riche, avec les spécificités du territoire de Pantin.

A savoir : Nous travaillons aussi en collaboration avec la mairie de Pantin, sur la manière de bien loger les étudiants et de les intégrer à la vie locale.

 

Quelles stratégies GEM envisage de mettre en place pour se développer davantage à l’international ? 

L’expérience à l’international doit répondre à tous les besoins, avec notamment une offre européenne très forte. En ce sens, nous voulons continuer à développer les partenariats de premier plan, car ils permettent d’être immergés et d’aller vers les doubles diplômes avec les écoles internationales.

En outre, nous voulons développer une capacité à faire venir des étudiants internationaux, tout en envoyant nos étudiants à l’international. L’objectif est de permettre à nos étudiants de vivre une expérience internationale directement sur le campus, grâce à la venue des étudiants internationaux, ce qui est phase avec notre statut de société à mission.

 

Comment voyez-vous Grenoble EM dans 10 ans ?

GEM sera une école où les étudiants seront formés à des compétences hybrides, avec la capacité à décrypter le monde tout autour (notamment grâce à notre expertise en géopolitique). L’objectif est de donner aux étudiants les opportunités pour transformer le monde, mais de pouvoir se réinventer et se ressourcer dans le cadre d’une capacité à intégrer la nécessité absolue de ne cesser d’apprendre. GEM a pour objectif d’offrir cette expérience, l’accès à une communauté forte de 47 000 alumni partout dans le monde dans une logique d’écosystème partenarial

Pour transformer la société, le levier principal est l’économie, donc les managers de demain seront ceux qui nous permettront de concilier l’enjeu d’une croissance finie avec les transitions sociales et environnementales.

 

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Je suis Maxime DIGUET, rédacteur en chef adjoint de PGE et je souhaite au travers de mes articles vous partager plein de conseils et astuces.