Interview de Cyril Noury, fondateur d’Informa’Truck

Interview de Cyril Noury, fondateur d’Informa’Truck

Découvrez l’interview de Cyril Noury, entrepreneur à impact, qui a participé à QVEMA avec Informa’Truck et levé 1,7 million d’euros.

 

Bonjour Cyril, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Je suis Cyril Noury, j’ai 38 enfants, 4 enfants et 4 entreprises dans l’informatique. La dernière entreprise lancée est Informa’Truck, mais j’en avais lancé trois auparavant, sur la partie B2B. Ce n’est pas une surprise pour moi de lancer mon entreprise, car je suis issu d’une famille d’entrepreneur (grands-parents, cousines, parents).

 

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Vous débutez votre carrière en tant que pigiste au parisien. Quels souvenirs en gardez-vous ? Comment aviez-vous fait pour entrer dans un journal aussi connu ?

Quand j’ai eu mon bac STI avec mention, je gérais déjà une quinzaine d’associations sur leur partie informatique. J’ai postulé au premier BTS informatique en 2003, mais on m’a rétorqué que j’étais bien trop mauvais en mathématiques. Cependant, j’ai regardé le programme et je leur ai répondu que je savais déjà faire tout ce qui était demandé et enseigné. Par « dépit », je pars en BTS Force de Vente où je me suis rendu compte au bout de deux semaines, que je n’apprendrais pas grand-chose, car j’étais déjà à l’aise dans l’argumentation au vu de ma pratique du théâtre. Ainsi, le jour de mes 18 ans, je pars de ce BTS et je deviens stagiaire assistant réalisateur, grâce à une de mes connaissances : Laurent Thomas.

Les budgets au Parisien se réduisent au fur et à mesure et ils n’ont plus la possibilité d’avoir des alternants journalistes. Mais, ils se retrouvent embêtés sur les brèves au kilomètre et les sujets High-Tech. Comme ils avaient l’habitude de me voir avec mon papa, le rédacteur en chef me propose de faire de la brève au kilomètre, ce que j’accepte. Je monte ensuite en tant que pigiste, pour traiter des sujets high-tech et jeunesse. Mon jeune âge m’a permis de rentrer très facilement dans les cortèges, notamment au moment des manifestations contre le CPE.

 

En 2013, vous vous êtes orientés vers l’informatique, en commençant par être administrateur système. En quoi cela consiste pour ceux qui ne connaissent pas ce métier ?

De retour après quelques années d’expérience au Canada, dans le monde du jeu-vidéo au sens large (les services-arrière, avec la gestion des bugs et de la traduction etc) où j’ai eu l’occasion de co-diriger une équipe de 70 personnes en tant que Lead Project Manager. Je reviens en France et après « quelques petits boulots » (l’équivalent de Pôle Emploi à l’époque, l’ANPE, ne considère pas son expérience au Canada), je finis par décrocher un poste d’administrateur système.

Son rôle est de faire en sorte que le réseau, les interconnexions et les serveurs fonctionnent avec tout ce que cela implique. Ce sont des rôles de l’ombre essentiels à 99% des entreprises, car dès que vous avez un parc d’ordinateur, il faut une personne pour administrer le réseau.

 

Quatre ans plus tard, vous vous lancez dans l’entrepreneuriat avec Check Noury Technology. De quels constats est né ce projet ? Où en est l’activité aujourd’hui avec cette entreprise ?

Check Noury Technology propose des offres d’infogérance et de maintenance pour les entreprises, par rapport à leur parc informatique. L’objectif est que le parc informatique des clients soit le plus robuste possible, grâce à une prédiction de la majorité des pannes, avant qu’elles ne surviennent et c’est là, la grande force de l’entreprise. Nous avons deux entreprises que nous allons regrouper ensemble. Ma 4e entreprise gère les services centraux et notre datacenter pour l’ensemble des services que nous proposons à travers le groupe.

 

Comment prédire les pannes ?

Pour prédire les pannes, nous allons chercher des informations sur la vie et le fonctionnement des composants, et surtout, nous passons ces données dans un algorithme comparatif, qui vérifie les seuils à ne pas dépasser et l’évolution des valeurs critiques. En cas de dépassement, un message est envoyé au client, pour le prévenir d’un risque de panne.

L’avantage est d’avoir moins de personnels en interne, puisque nous pouvons planifier nos interventions. Le client est content, car nous sommes dans une approche de prévention, et nous intervenons de manière précise et pertinente, dans l’objectif de changer uniquement les éléments nécessaires. Ceci est très utile pour les TPE et PME qui n’ont souvent aucun ordinateur de rechange.

 

En 2021, vous fondez Informa’Truck. Comment avez-vous eu l’idée de ce projet ?

Le défi était de transformer un « camion à pizza » en atelier informatique de 70 mètres carrés, avec des contraintes énergétiques, de réseau et de taille. Quand je lance Check Noury Technology en 2017, j’ai déjà l’idée du camion, mais je n’ai pas l’expérience nécessaire en tant qu’entrepreneur, pour me lancer dans une startup. Les technologies à l’époque (3G notamment et les panneaux solaires) n’étaient pas au niveau d’aujourd’hui.

Ainsi, je lance une base en B2B, avec une petite agence de réparation informatique pour les particuliers, afin de prendre de l’expérience et mieux cibler ce qu’on va faire par la suite. Donc, je travaille le projet en sous-marin en attendant le bon moment.

J’ai lancé ce projet pour mon grand-père, qui était dans la « tech » lors des années 80 et qui m’a initié à l’informatique durant mon enfance. Avec l’âge et sa maladie cognitive, je passe tous mes week-ends à le dépanner informatiquement chez lui, car il habite à 30 min du réparateur le plus proche. L’idée était d’aller au contact des personnes qui ne peuvent pas se déplacer, pour aller voir un réparateur informatique. Nous sommes dans le concept serviciel du « aller vers ».

 

Comment s’est déroulé le processus entrepreneurial, de l’idée au lancement d’Informa’Truck ?

Après avoir réfléchis sur l’idée, je réalise en 2020 une étude de marché avant de lancer mon entreprise et je découvre un chiffre : d’après des chiffres de l’INSEE et de l’IGN, en 2017, 21 millions de français habitent dans des zones non-accessibles aux services de réparation. Pour faire simple, ces français – dont je fais partie – habitent à plus de 15 min d’une boutique de réparation informatique. Avec la COVID, beaucoup de boutiques de réparation informatique ferment dans les villes moyennes et aggravent ce constat : plus assez de personnes viennent dans ces petites boutiques, les charges sont trop écrasantes et les gens ne pensent pas encore assez à la réparation en 2020.

Ainsi, en 2021, je rencontre Yan (Il est dans la galère et à deux doigts d’être à la rue), une personne clé pour Informa’Truck, car le premier Tech’Trucker, c’est-à-dire un technicien conducteur : il doit conduire son camion au bon endroit et ensuite assurer sa mission de technicien/conseiller informatique. C’est comme un responsable de magasin informatique, mais avec 8 emplacements différents pour la même boutique. Aujourd’hui, Yan a été promu formateur, car nous avons besoin de former les nouveaux Techs’Truckers.

 

Que fait concrètement Informa’Truck ?

Informa’Truck est un réseau de camion-ateliers (ils s’échangent du temps, de la connaissance et du matériel) qui se déplacent dans les zones rurales pour réparer les ordinateurs (60% de l’activité), les téléphones (40% de l’activité, les tablettes et consoles de jeu.

Nous intervenons sur l’un des 4 maillons de la fracture numérique et nous avons été sourcé par la Banque des Territoires, par rapport à la compétence de l’Etat sur l’inclusion numérique. L’an dernier, nous avons gagné l’appel à projet 13M, ce qui signifie une très belle reconnaissance pour notre action envers l’inclusion numérique.

La Banque des Territoires nous a beaucoup aidé pour trouver des lieux d’accueil de nos Informa’Trucks dans les zones rurales et nous aide à nous déployer nationalement.

A savoir : Les techniciens utilisent la technique de prédiction que j’ai développé, pour le diagnostic des PC des clients.

 

Pourquoi pouvons-nous considérer Informa’Truck comme étant réellement dans l’impact ? En quoi l’inclusion des PSH est-elle importante à vos yeux ?

Nous sommes actuellement dans une période d’Impactwashing. L’important pour déterminer un impact est qu’il soit quantifiable, mesurable et réel. Nous ne sommes pas un projet à impact, mais à multi-impact, au sens des ODD (Objectifs du Développement Durable) de l’ONU. En France, une entreprise est considérée à impact quand elle agit sur au moins un ODD de l’ONU. Par exemple Team for The Planet agit principalement sur la réduction des gaz à effets de serre. Nous agissons sur 7 des 17 ODD de manière directe.

Informa’Truck « a poussé à fond tous les taquets de la RSE » car nous agissons pour l’inclusion numérique en zone rurale. Nous le faisons avec 100% de nos techniciens en situation de handicap (nos camions sont aménagés sur-mesure), qui ont pour objectif d’assurer au maximum la réparabilité pour assurer l’économie de matière (seulement, 0,2% de notre CA est fait par des ventes d’appareils neufs, les techniciens sont commissionnés sur le taux de réparation et non les ventes). Les techniciens sont des salariés en CDI. Le rythme en semaine de 4 jours leur permet d’avoir plus de confort pour leurs rendez-vous médicaux. Cela permet aussi d’agir sur l’accès à l’emploi, avec la formation (un autre ODD).

L’information en plus : Tous les ordinateurs et téléphones HS que nous récupérons, sont inspectés pour trouver des pièces, que nous vendons à un prix modeste, dans une logique d’économie circulaire.

L’inclusion des PSH est fondamentale à mes yeux, car elle est l’essence même du projet. En effet, ce sont des personnes qui sont formés en interne, pour conduire un camion et exercer un métier de manière indépendante. Le camion est adapté au handicap de la personne. Cependant, nous ne pouvons pas accepter tous les types de handicap dans le camion. Ceux qui ont un handicap physique lourd (problèmes importants de vue par exemple), empêchant la conduite ou le déplacement chez les clients, ne peuvent pas postuler. Nous adressons 65% des handicaps, grâce à notre camion, dont la troisième version sort cette année. L’aménagement du camion est à chaque fois travaillé avec un ergothérapeute.

 

Quelles ont été les difficultés rencontrées par l’entreprise ? Comment les avez-vous surmontés ?

Si je n’aimais pas surmonter des problèmes, je ne serais pas entrepreneur, encore moins dans une startup à impact ! Entreprise et impact sont deux mondes qui ne se comprennent pas, même si cela commence à aller mieux grâce à beaucoup d’évangélisation.

En effet, lors de ma levée de fonds l’an dernier, les fonds à impact me disaient qu’Informa’Truck est « trop » une entreprise (L’entreprise ne dépend pas des subventions, ce n’est que du bonus pour aider au développement), donc ils ne voulaient pas investir chez nous. Et lorsque je suis est allé voir les fonds classiques, ils me redirigeaient vers les fonds à impact, se disant peu intéressés par les projets dont la rentabilité est convenable mais ne permet pas de devenir une licorne à 10 ans.

Les deux types de fonds se « renvoient la balle », même si nous avons quand même réussi à lever 1,7 million d’euros dans une Seed à l’été 2023, avant l’enregistrement de l’émission.

L’information en plus : nous sommes dans une optique de test & learn, et chaque problématique nouvelle est étudiée pour améliorer l’ensemble des camions-ateliers

 

Vous avez participé à l’émission QVEMA. Comment s’est déroulé l’émission et la sélection ? Avez-vous des anecdotes à nous raconter ?

On a pris de gros risques (c’est notre stratégie) sur le plateau et cela va être un beau moment de télévision, qui a duré dans la réalité une heure et demie. 15 à 20 minutes sont gardés au montage. Ce moment est un échange très enrichissant, au niveau des feedbacks en particulier.

Pour l’anecdote, j’ai failli écraser Eric Larchevêque, un peu avant le tournage, car le camion très grand, et a nécessité le fait que je contourne le bâtiment (j’avais été prévenu que personne ne devait passer par là, notamment les jurys qui ont un lieu séparé où ils ne peuvent pas voir les projets avant le tournage).

En effet, Eric Larchevêque traversait et j’ai dû piler, pour pouvoir m’arrêter et éviter de l’écraser. Ainsi, nous nous sommes juste salués, car le jury ne doit pas rencontrer les porteurs de projet avant le tournage pour garder une neutralité la plus totale lorsqu’ils l’étudient.

Le jour J, le rôle des coachs est essentiel car ils nous mettent en condition de répondre aux pires remarques qui pourraient nous être faites. Un point qui m’inquiétait, au vu de mon projet était sa rentabilité, prévue pour 2025 mais dont le CA est faible les premières années au vu du prix des camions à acheter.

Seuls mes investisseurs étaient au courant que je passais dans l’émission par rapport à la levée de fonds qui venait de s’achever. Mon équipe ne l’a su qu’en décembre, quand j’ai eu la confirmation que nous serions diffusés. Je ne voulais pas leur faire une fausse joie !

 

Que vous a apporté QVEMA pour la suite de Informa’Truck ?

Au-delà du côté financier (dont il ne peut rien dire avant la diffusion, même à la presse ou à ses équipes), on se retrouve face à 5 entrepreneurs d’horizons différents, qui viennent poser des questions sur des éléments précis. Cela m’a ouvert les yeux sur certains éléments où nous pouvons aller plus loin, notamment au niveau opérationnel où nous avons renforcé les équipes et muscler la formation pour les salariés. Nous sommes dans une logique de test & learn quotidien !

 

Quels sont les projets et ambitions d’Informa’Truck à l’avenir ?

Nous allons nous développer dans d’autres territoires ruraux et ajouter d’autres services dans notre business model, car un camion de réparation en B2C n’est pas viable économiquement. La plupart de ceux qui ont voulu copier notre concept depuis quelques mois en font d’ailleurs l’amère expérience.

Donc, si nous voulons être rentable, il faut faire du B2B2C, avec plusieurs modèles économiques différents (offres et types de clients différents) programmés de manière phasée, en agrégeant différents flux, comme du SAV officiel de grandes marques.

 

2024 sera l’année où nous allons lancer le « Carglass » de l’informatique, c’est-à-dire que nous avons signé un accord avec deux assureurs, afin de rendre accessible la réparation à tous et éviter le gâchis de pièces électroniques.

 

L’objectif du « Carglass » de l’informatique est d’éviter de favoriser le recyclage et la réparabilité. Dans mes démarches de prospection auprès des assureurs, certains ont refusé d’ouvrir leurs statistiques sur le nombre d’appareils électroniques remplacés chaque année, probablement parce qu’ils connaissent l’ampleur du désastre qu’ils participent à alimenter.

 

Un chiffre : dans 3% des situations où un appareil informatique a un problème indemnisable, l’assurance oriente vers une réparation et dans 97% des cas, un appareil neuf est proposé. Quel gâchis ! Informa’Truck a pour objectif de faire monter le taux de proposition de réparation à plus de 80%. En plus, le ticket moyen de l’indemnisation est divisé par 3 pour les assureurs, et le tout ne prend que quelques jours au maximum. Et au cas où la panne ne serait pas prise en charge par l’assurance, nous pouvons proposer l’aide QualiRépar pour réduire la facture. (aide d’état récente qui prend en charge environ 30% des couts de réparation des appareils électroniques)

 

Par ailleurs, nous aimerions lancer une action B2B avec les CSE des entreprises, qui pourront privatiser nos camions, afin qu’un tech’trucker puisse être dédié exclusivement aux salariés d’une entreprise, pour régler leurs problèmes informatiques.

 

Le mot de la fin

Nous lançons une campagne de financement ouverte à tous, sur We Do Good, ce qui va nous permettre de lancer des camions supplémentaires en cas de succès. Ceux qui ont investi, seront rémunérés chaque trimestre, jusqu’à 3 fois leur mise de départ. L’objectif est aussi de connaître les endroits où des camions seraient utiles. Cette campagne accompagne notre communication sur la Saint Forma’Truck, qui remplace cette année la Saint-Valentin… jour de notre passage dans QVEMA.

 

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Je suis Maxime DIGUET, rédacteur en chef adjoint de PGE et je souhaite au travers de mes articles vous partager plein de conseils et astuces.