- CARRIÈRE INTERVIEWS LUXE
- Matthieu Zuili
- 26 novembre 2021
Interview d’Audrey Lissajoux – Retail Operations Manager France & Monaco chez Van Cleef & Arpels
Nous avons interviewé Audrey Lissajoux, alumni de NEOMA Business School, actuellement Retail Operations Manager France & Monaco chez la maison Van Cleef & Arpels.
Bonjour, pouvez-vous nous parler de votre parcours académique et professionnel ?
Au niveau académique, j’ai étudié à Neoma (ex-Sup de Co Reims) il y a maintenant quelques années : j’y suis rentrée en 2005 après deux ans de classes préparatoires ECS. J’ai effectué une première année classique de tronc commun puis j’ai fait une alternance avec comme spécialité, contrôle de gestion et marketing, que j’ai mis en pratique à la fois en cours et dans l’entreprise où j’étais en alternance (Sergent Major). Ensuite, j’ai réalisé 4 mois d’échange en Finlande, dans l’University of Jyväskylä, avec un cursus anglais et à dominante marketing et développement durable. Ce parcours académique à Neoma s’est terminé en décembre 2008 avec ma soutenance de mémoire qui portait sur la démocratisation des produits de luxe, notamment les champagnes.
Concernant mon parcours professionnel, en janvier 2009, j’ai réalisé mon stage de fin d’études d’une durée de 6 mois dans la maison Louis Vuitton, ma première expérience dans le secteur du luxe. Ce stage en merchandising produits, s’est ensuite transformé en CDD pendant dix-huit mois où je faisais partie de l’équipe France en marketing sur tout ce qui concernait l’animation des différentes catégories de produits, la formation des équipes de vente sur les nouveautés et l’histoire de la maison ainsi que l’animation commerciale. Il s’agissait en quelque sorte de business marketing opérationnel. À l’issue de ces deux ans de stage et CDD, j’ai intégré le magasin Louis Vuitton du Bon Marché, pendant un an, où j’étais responsable adjointe du magasin. Cette fois-ci, c’était la découverte de visu des clients, des produits sur le terrain et du fonctionnement d’un magasin. Suite à cette année, je suis retournée au siège de Louis Vuitton pendant 4 ans, à nouveau en merchandising produits et toujours avec l’accompagnement des magasins sur les nouveautés des produits, sur le développement business, sur les ouvertures de magasins. Puis, au terme de ces 4 ans, je suis restée au sein de la maison Louis Vuitton mais j’ai changé de domaine. Je suis allée en logistique, pendant 4 ans à nouveau, où j’étais responsable logistique pour les magasins France et Monaco donc c’était également en lien avec les magasins mais aussi avec les entrepôts, la supply chain, les stocks, etc. Je suis ainsi restée 11 ans chez Louis Vuitton et je suis partie en décembre 2019 pour intégrer le groupe Richemont en janvier 2020 où je fais dorénavant partie de la maison Van Cleef & Arpels. Il s’agit toujours du luxe mais cette fois-ci davantage orienté vers la joaillerie et l’horlogerie. Et, dorénavant, depuis deux ans au sein de cette maison, je suis Retail Operations Manager France et Monaco.
Comment s’est passé votre recrutement au sein de Louis Vuitton puis au sein de Van Cleef & Arpels ?
Mon recrutement au sein de ces deux maisons s’est déroulé de manière plutôt classique. En effet, j’ai simplement répondu à des offres en ligne et j’ai eu la chance, pour chacune de ces offres, qu’on me rappelle dans la journée. À chaque fois, c’était le processus RH classique, avec un 1er entretien puis avec l’opérationnel et enfin, en général, avec le N+2. Donc, c’est vrai que je n’ai pas passé beaucoup d’entretiens pour ces deux entrées au sein de ces maisons. Pour mon recrutement chez Louis Vuitton, comme c’était un stage, c’était un peu plus succinct. Il y avait effectivement le RH, ma N+1 et après ma candidature a été validée par la N+2 mais c’était assez rapide. Alors que mon entrée chez Richemont, c’était la RH, mon N+1, la N+2 et ensuite les membres de l’équipe que j’ai intégrée, ce qui a pris un mois de délai environ.
En quoi consiste votre métier de Retail Operations Manager ?
Mon rôle en tant que Retail Operations Manager chez Van Cleef & Arpels est de m’occuper de toute l’expérience en magasin, que ce soit pour les vendeurs ou pour les clients, de faire en sorte que les boutiques soient toujours impeccables d’un point de vue maintenance, d’un point de vue visual merchandising, d’un point de vue opérationnel sur tous les sujets : les boissons, le catering, l’apparence des boutiques, les outils qu’on a en magasin. J’ai également pour rôle de challenger les boutiques pour qu’elles s’améliorent toujours, qu’on soit toujours dans une recherche d’excellence tant pour les clients que pour les utilisateurs. Enfin, cela consiste à pallier tous les problèmes et s’assurer que tout fonctionne correctement ainsi qu’à accompagner les boutiques pour tout ce qui concerne des changements, des projets. En résumé, le métier de Retail Operations Manager consiste à toujours être dans une amélioration continue afin d’assurer le meilleur service pour les clients.
Pourquoi avoir choisi le secteur d’activité du luxe ?
Au tout départ, j’étais surtout sur le produit en lui-même donc j’avais envie de travailler au quotidien avec des produits qui me faisaient rêver, où il y avait un vrai savoir-faire, une vraie qualité et qui font rêver les clients et les utilisateurs à terme. L’idée était d’être en quelque sorte autour de produits où je ne m’ennuie jamais. C’est pourquoi j’ai voulu travailler dans le luxe.
Vous préférez l’univers de la mode ou plutôt celui de la joaillerie ?
La mode, c’est un rythme effréné. Quand j’étais chez Louis Vuitton, on sortait 2 produits par jour et c’était de fait, beaucoup de lancements, beaucoup de connaissances à acquérir soi-même et à partager ensuite aux équipes de vente. Dès lors, c’était un rythme plus soutenu, surtout en marketing opérationnel parce qu’on arrive en bout de course dans la stratégie de lancement et effectivement toutes les catégories de produits nous arrivent en entonnoir, ce qui fait qu’il faut assimiler rapidement et déployer ensuite. À l’inverse, la joaillerie c’est beaucoup plus calme si je puis dire. Puis, ce n’est pas le même type de produits : alors qu’un sac aura tendance à être placardé sur différents médias, la joaillerie se veut elle, plus discrète, plus confidentielle. Ainsi, à mon sens, les deux se complètent car ce ne sont pas les mêmes approches et c’est ça que je trouve intéressant. Je me plais donc à naviguer dans les deux univers.
La clientèle est-elle similaire entre ces deux univers ?
Oui, il y a quand même des similitudes en termes de clientèle parce qu’il y a des clientèles locales et des clientèles étrangères. Sur des produits phares, iconiques, oui il s’agit de la même clientèle : on vient de la même manière chercher un sac Speedy chez Louis Vuitton qu’un pendentif Alhambra chez Van Cleef & Arpels.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier de Retail Operations Manager que vous effectuez actuellement ?
C’est le fait qu’on ait un quotidien qui ne soit jamais tout à fait le même parce qu’il y a toujours quelque chose à faire. On ne sait pas notre feuille de route le matin et on a beau avoir prévu de faire telle ou telle chose, en fin de journée on se rend compte qu’on a fait complètement l’inverse parce qu’on est soumis au besoin des boutiques. Par exemple, s’il y a une urgence parce qu’une porte est cassée ou parce qu’il faut vite fournir des sacs parce qu’il y a une rupture de stock ou autre, il y a effectivement ce besoin-là d’apporter un service. Puis, il y a des projets un peu plus à long terme qui sont intéressants aussi parce que c’est plus stratégique, où cela concerne d’avantage l’image. Ainsi, on ne s’ennuie pas : il y a vraiment tous les mois des projets qui sont assez variés. Ça peut être des projets IT, des projets VM avec des nouvelles vitrines ou bien une nouvelle exposition qu’on va installer en boutique. Donc, il y a vraiment un quotidien qui n’est jamais le même à la fois sur des projets court-terme et sur des projets moyen-terme.
Une autre chose qui me plaît également est le fait qu’on soit beaucoup en interaction avec d’autres départements. Je travaille à titre d’exemple, avec mes collègues du CRM ou de la performance notamment, mais aussi avec les évènements et les architectes.
Quelles sont les difficultés du poste ?
Il faut avoir une tête bien faite si je puis dire, en tout cas être très organisé parce que, comme nous sommes sollicités de toute part, il faut veiller à ne rien oublier, à savoir prioriser, à savoir prendre chaque demande comme si c’était la plus importante et essayer de veiller à ce qu’elles soient toutes résolues. Ce n’est pas la seule difficulté : travailler dans de grandes structures fait que parfois ça ne va pas aussi vite que ce que l’on aimerait parce qu’il y a plusieurs parties prenantes qui sont là et effectivement, moi avec mon caractère, j’aimerais que ça aille plus vite, mais « faire bouger la machine » c’est parfois un peu plus long. Enfin, il peut également y avoir des réticences des équipes qui ne sont pas habituées au changement aussi rapide. En effet, depuis 2 ans avec la pandémie, il y a eu de nombreux changements qui se sont mis en place et derrière, il faut savoir accompagner les équipes. Ce n’est pas toujours simple pour diverses raisons : soit parce qu’il y a du sous-staffing, soit parce qu’il y a de la réticence au changement ou soit parce qu’il y a un manque de moyen.
Comment Van Cleef & Arpels a été touché par la crise du Covid-19 et a su rebondir ?
Comme beaucoup de maisons de luxe, étant donné que Van Cleef & Arpels est une maison internationale, même si cela pouvait être plus difficile dans certaines zones géographiques (comme l’Europe), dans d’autres zones géographiques (comme l’Asie), les clients ont acheté chez eux donc ça a permis de continuer à garder une envie, une dynamique de la part des clients. Les clientèles moyen-orientales, asiatiques ou américaines continuaient à consommer dans leurs marchés locaux. Donc la crise a été présente mais la maison a su rebondir en envoyant les pièces aux bons endroits, en privilégiant la vente en ligne que ce soit par téléphone ou par internet. En effet, ça a été une vraie accélération avec une refonte du site internet, avec plus de moyens mis au niveau des services clients pour pouvoir continuer d’assurer la vente et le service de livraison pour les clients qui ne pouvaient plus se déplacer en boutique quand elles étaient fermées.
Quelle est la place de l’international dans votre métier ?
Dans mon métier, à proprement parler, je suis sur le marché français et monégasque donc c’est un marché local. Après effectivement, les clients internationaux sont assez nombreux : ça représente une grosse part de nos clients, la majorité si je puis dire. De ce fait, il faut savoir, en boutique, accueillir aussi bien les clients locaux que les clients internationaux. On a alors des vendeurs d’origine étrangère pour pouvoir parler dans la langue des clients (anglais, russe, chinois, coréen, japonais, italien, etc.), ce qui crée une dynamique de clients et de vendeurs internationaux. Ensuite, en termes de fournisseurs, on peut également avoir des fournisseurs internationaux qui nous aident soit dans les produits soit dans la fourniture de services. Et, de toute façon, ça reste une maison internationale : toutes nos communications se font en anglais. On est en lien avec les homologues des autres pays pour certains sujets donc il y a une dimension internationale qui est forcément présente.
Quels profils de candidats la maison Van Cleef & Arpels recrute ?
Ça dépend des managers parce que finalement on recrute des personnes qui sont soit à notre image, soit dont on a besoin pour compléter une équipe existante. Ce qui est important pour moi, et ce qui l’est aussi dans les valeurs prônées par la maison, c’est tout ce qui relève de la bienveillance, de la curiosité et de l’engagement. En effet, on veut des candidats et des collaborateurs qui soient dédiés à leur travail, c’est-à-dire qui soient vraiment motivés par ce qu’ils font. On veut également des personnes qui aiment l’environnement dans lequel ils évoluent et des gens curieux qui ont une vraie empathie pour les clients. L’idée, c’est d’être vraiment dans le consensus et d’être toujours bienveillant avec tout le monde, que ce soient ses supérieurs, ses collaborateurs ou des gens qui soient hiérarchiquement en-dessous de nous. Bien évidemment, il faut au préalable des compétences techniques, une vraie culture d’entreprise et une connaissance de la maison, des produits. Même si vous êtes graphiste ou comptable, vous devez connaître l’histoire entre Estelle Arpels et Alfred Van Cleef, connaître les derniers produits, être curieux sur comment sont faits les diamants, ce genre de choses. Donc il y a un vrai sentiment d’appartenance qui est demandé aux équipes.
Enfin, avez-vous des conseils pour les étudiants intéressés par le secteur du luxe ?
Si on veut rentrer dans ce monde-là, il faut effectivement commencer assez tôt par des stages de découverte en magasin car c’est toujours apprécié. Puis, l’idée est de multiplier les expériences de stage, quel que soit les domaines. Je pense qu’il ne faut pas s’interdire de pousser la porte et d’oser même si on n’est pas de ce milieu-là à l’origine. Il faut également montrer que vous êtes curieux, que vous avez des appétences pour les produits que ce soit pour la mode, l’horlogerie, la joaillerie ou l’œnologie. Il faut vraiment cultiver sa curiosité personnelle parce que c’est toujours un atout. Il ne faut pas simplement se dire je veux travailler dans le luxe parce que je veux travailler dans le luxe mais c’est aussi savoir ce qu’il y a derrière le luxe en termes de produits, de qualité, de savoir-faire.
Par ailleurs, on peut toujours viser le haut du panier mais il y a également d’autres belles maisons qui sont peut-être un peu plus confidentielles et qui elles aussi attendent des profils d’école de commerce pour les dynamiser, pour leur apporter des nouvelles idées comme en province avec les maisons de spiritueux et les maisons de champagne. Il ne faut peut-être pas viser que Paris parce que faire du marketing dans le luxe à Paris, c’est ce que tout le monde veut faire et je pense qu’il faut aussi se dire qu’on peut également rentrer par d’autres portes dans cet environnement-là. Ça peut être via le retail parce qu’il y a de très beaux parcours qui se font en magasin et pour commencer une carrière professionnelle, c’est bien aussi de commencer par là. Ça peut également être dans d’autres fonctions support que ce soit en finance, en opération, en digital. Il faut donc s’ouvrir au maximum, élargir son champ des possibles parce que de toute manière une carrière ce n’est pas 40 ans dans le même poste. C’est aussi naviguer en fonction des opportunités, en fonction de ce qui nous intéresse et ne pas se dire qu’on fera le même métier toute sa vie.