Bruno Latour : vie, oeuvre et engagement

Bruno Latour : vie, oeuvre et engagement

Anthropologue, philosophe et sociologue, Bruno Latour, un des intellectuels français contemporains les plus connus au monde est décédé dans la nuit du 8 au 9 octobre 2022. La France le connaît comme ancien directeur scientifique et professeur émérite associé de Sciences Po, et le monde entier le connaît pour son œuvre de sociologie scientifique notamment dédiée à l’écologie. 

Alors, qui était Bruno Latour, que le New York Times décrivait en 2018 comme Le plus célèbre et le plus incompris des philosophes français ? »

 

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Œuvre philosophique et sociologique de Bruno Latour

Agrégé de philosophie, Bruno Latour s’inscrit dans la postérité comme un intellectuel inter-disciplinaire. Longtemps critiqué pour un supposé manque de cohérence lié à la variété de sujets qu’il abordait, Bruno Latour s’impose par la qualité de ses recherches. Du droit à l’écologie en passant par la théologie, le marketing ou le design, Bruno Latour représente aux yeux de beaucoup le penseur par excellence. Honoré de sept doctorats honoris causa et de prix académiques aussi prestigieux que le prix Holberg en 2013 et le prix de Kyoto en 2021, il a fait bouger les lignes de la recherche française. 

Par exemple, Bruno Latour se concentre sur la sociologie des sciences à travers sa première œuvre connue, La Vie de Laboratoire, mais aussi plus tard avec un livre d’entretiens avec Michel Serres, l’unique autre philosophe français s’étant penché sur la pratique des sciences du point de vue philosophique. Dans la Vie de Laboratoire, il explique que l’activité scientifique et les objets d’étude scientifiques sont le résultat de constructions sociales et de pratiques culturelles. Dans son livre suivant, Les Microbes, il décrit le parcours de Louis Pasteur mais il le fait à la manière d’une biographie politique. 

La suite de ses grands travaux se concentrera sur la politique et l’écologie. Il relancera en France l’hypothèse Gaïa, idée très controversée que la Terre n’a pas uniquement un mouvement mais aussi un comportement propre qui réagirait au comportement des humains. En ce sens, il traite beaucoup de l’écosophie, un des premiers mouvements philosophiques réellement écologique, pensant la nécessité d’un renversement de l’anthropocentrisme. 

Ainsi élabore-t-il par la suite un programme d’écologie politique, souhaitant que la Constitution tienne compte de ce qu’il appelle les “non-humains” à travers un “parlement des choses”. Dans son idée, les scientifiques pourraient représenter ces choses à la manière des députés qui représentent les citoyens pour que les “choses” aussi soient représentées en politique.

 

Bruno Latour : Une figure majeure de Sciences Po

Après une longue hésitation, Bruno Latour a fini par accepter de faire partie du corps pédagogique de l’école rue Saint Guillaume quand ces derniers lui ont proposé le poste de directeur scientifique. C’est au sein de cette école qu’il a continué son parcours impressionnant de recherche en se penchant sur l’évolution en matière d’enseignement de la politique. Le rapprochement des humanités et des sciences lui tenait à cœur, raison pour laquelle Sciences Po lui doit son médialab pour le numérique et son Centre des politiques de la terre pour les études environnementales. Il croyait aussi que la politique pouvait être modifiée à travers les représentations et la création, ce qui le poussa à créer le Programme d’expérimentation en arts et politique à Sciences Po. Lorsqu’il annonça sa création en 2010 au Centre Pompidou, il fut salué entre autres par la Harvard University School of Design pour l’innovation dont témoignait ce programme de recherche. C’est d’ailleurs célébrant les 10 ans de ce Master SPEAP qu’eut lieu sa dernière apparition public au Théâtre Chaillot. Ce soir là, Sciences Po comme Bruno Latour réitèrent leur volonté de faire des arts un outil de compréhension du monde.

Accepter d’entrer à Sciences Po était une vraie décision pour lui, et Laurence Berléac et Mathias Vicherat le soulignent dans leur hommage et communiqué de presse. Il décida cependant d’accepter car face à l’impuissance politique et l’inaction climatique, cette institution lui semblait un des seuls moyens de changer les choses. Et son investissement jusqu’à la fin de sa vie dans les projets environnementaux à Sciences Po le montrent. En effet, cette année encore, rongé par la maladie, il continuait d’employer son énergie et son argent au service de Sciences Po en décidant de donner le montant de son Prix Kyoto au service d’un fonds pour recruter des post-doctorants en écologie politique.  

 

Bruno Latour ou le penseur de l’écologie

Ces dernières années, Bruno Latour s’est fait connaître du grand public en tant que penseur de l’écologie. De fait, celui-ci avait produit une réflexion sur la nécessité d’un changement écologique global bien avant que cela ne devienne un sujet reconnu important. Avec l’intérêt croissant que la société et les médias portaient à ce sujet, Bruno Latour est devenu un incontournable et profitait de cette soudaine audience pour alerter sur l’urgence d’un nouveau régime climatique

Aujourd’hui, il est difficile de trouver des livres contemporains sur le sujet sans trouver au moins une référence à son œuvre. Les livres Face à Gaïa, Où atterrir? ou encore Où suis-je? sont aujourd’hui des références qui guident beaucoup des penseurs actuels de l’écologie.

Le décès de Bruno Latour marque donc les philosophes et sociologues du monde entier, mais aussi toute l’équipe pédagogique de Sciences Po Paris. Il sera retenu pour tous ses travaux et surtout son action pour l’enseignement et l’environnement, notamment grâce au projet qu’il avait commencé avec l’argent de son prix Kyoto. Et c’est d’ailleurs ce qu’écrit Sciences Po dans son hommage et communiqué de presse : C’est ainsi que nous entendons honorer sa mémoire, en poursuivant l’œuvre qu’il a engagée et en nous inscrivant dans ses traces, comme nous l’avons fait en suivant l’une des préconisations du rapport qu’il avait rédigé en 2019 : la création d’un grand cours obligatoire sur les transformations environnementales pour tous nos élèves du collège universitaire.”   

 

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