Aleph Farms, pionnier de la viande cultivée en laboratoire

Aleph Farms, pionnier de la viande cultivée en laboratoire

En 2013, l’université de Maastricht créait la surprise en présentant le premier steak cultivé en laboratoire. Coût de production du fameux morceau de viande : 250 000€. Le chiffre choque, mais la viande cultivée est plus que jamais nécessaire. En effet, avec 364 millions de tonnes de viandes produites par an, deux tiers des surfaces agricoles mondiales sont utilisées pour nourrir le bétail. La production de viande et de lait engendre à elle seule 15% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Une donnée inquiétante, puisque la consommation de viande a été multipliée par 5 depuis 1961. La production de viande bovine est notamment pointée du doigt. Alors qu’elle ne représente que 20% de la consommation totale de viande, elle engendre 41% des émissions totales liées à l’élevage de bétail.

C’est dans ce contexte qu’Aleph Farms, une entreprise israélienne, s’est lancée dans la production de viande cultivée en laboratoire. Forte d’une levée de fonds de 105 millions de dollars et du soutien de son gouvernement (politique nationale de développement du secteur), l’entreprise compte bien lancer un processus de production à grande échelle dans les années à venir. Son premier produit, Aleph Cuts se veut une imitation quasi-parfaite du steak de bœuf traditionnel mais avec une empreinte carbone moindre. Selon les chiffres de l’entreprise, sa production de viande de bœuf en laboratoire à partir d’énergies renouvelables permettrait une réduction de 90 % des terres utilisées et de 92% de l’empreinte carbone par rapport à une production intensive.

 

Le processus de fabrication de viande dans les laboratoires d’Aleph Farms

Pour cultiver de la viande en laboratoire, Aleph Farms a quand même besoin d’une base animale. Cette base, c’est Lucy, présentée sur le site de l’entreprise comme  « une vache premium Black Angus d’un élevage de Californie ».

  • Première étape, prélever des ovules fertilisés de Lucy et les laisser se développer pendant une courte période en laboratoire.
  • Puis, prélever certaines des cellules créées pour les congeler. Ces cellules constituent le stock de l’entreprise à partir duquel elle « confectionne» ses produits.
  • Enfin, ces amas de cellules sont à nouveau séparés dans des cultivateurs pour qu’ils s’agrègent autour d’une base protéinique végétale à base de soja et de blé.

Un cultivateur est un environnement fermé qui fournit aux cellules tout ce dont elles ont besoin pour proliférer le plus rapidement possible (température et acidité optimale, nutriments). La base végétale permet aux produits d’Aleph Farms d’imiter la texture et la forme de la viande.  De ce fait, les produits sont dits « hybrides ». Après 4 semaines, les cellules sont récoltées et forment un steak.

 

Le marché de la viande cultivée en laboratoire est en pleine expansion

Le marché de la viande développée en laboratoire, dite « cultivée » suscite l’intérêt de nombreux investisseurs qui voient dans ce produit phare un élément clef de l’alimentation du 21e siècle. Les investissements dans le secteur sont ainsi passés de 5 à 1300 millions de dollars entre 2016 et 2021 (un record). Il en va de même pour le nombre d’entreprises : le duopole de la viande cultivée en 2013 est devenue un secteur prolifique avec 156 entreprises présentes, dont la majorité sont des startups. Enfin, il convient de noter les progrès importants qui ont été réalisés sur les coûts de production. Le steak de viande cultivée de l’université de Maastricht a été produit à 1 million d’euros de kilo. Aujourd’hui, les leaders du marché prétendent pouvoir produire un kilo de viande de bœuf pour 37.5€.

 

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Les avantages et inconvénients de la viande cultivée en laboratoire

Ce nouveau mode de production de viande présente plusieurs avantages : 

  • Tout d’abord, il n’y a ni besoin de pâturages, ni de grandes quantités de végétaux pour nourrir les bêtes.
  • Aleph Farms prétend pouvoir intégrer plus facilement l’utilisation d’énergies renouvelables que dans les élevages classiques, puisque l’élaboration se fait dans un environnement fermé.
  • Enfin, à partir d’une vache, l’entreprise est capable de produire plusieurs milliers de tonnes de viande.

Cependant, certains scientifiques considèrent qu’il est encore trop tôt pour se prononcer sur les bénéfices environnementaux de la viande cultivée car de nombreuses données sont encore confidentielles concernant le processus de production, qui varie d’une entreprise à l’autre. Ainsi, nous pouvons déjà lister les limites de cette pratique : 

  • La mise en place des structures de production pourrait augmenter drastiquement le coût environnemental de cette technologie.
  • Pour des raisons sanitaires, certains équipement de stérilisation des cultivateurs sont à usage unique. Cela induit une consommation importante de plastique.
  • Le bétail, notamment bovin, ne sert pas qu’à la production de viande. Il est à l’origine de nombreux produits dérivés (lait, cuir…). Trouver des méthodes de production alternatives pour ces biens augmente le bilan carbone de la viande cultivée.
  • Des traces de plastique (bisphénol A) ont été retrouvé sur la viande cultivée, dû à la structure des équipements utilisés.

 

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Aleph Farms tente de cultiver de la viande dans l’espace

Aleph Farms dispose d’une branche dédiée à la production de viande en milieu spatial : Aleph Zero. L’objectif est d’aboutir à un équipement qui peut accompagner les astronautes dans des sorties longues. Ainsi, ils pourraient disposer de produits frais et de qualité pendant toute la durée de leurs missions. Pour l’heure, l’entreprise a réalisé deux missions à bord de la station spatiale internationale pour déterminer les effets de l’apesanteur sur la production de viande. Cette technologie pourrait devenir un atout clef à long terme pour les missions spatiales de longue durée.

 

Les prochaines étapes pour Aleph Farms

Aleph Farms est actuellement présent en Israël, à New-York et a récemment fait l’acquisition d’une usine à Singapour. Bien que l’entreprise n’ait actuellement commercialisé aucun de ses produits, des partenariats avec des restaurants locaux sont établis pour les distribuer prochainement. Aleph Farms veut aussi se lancer dans la vente de collagène pour certaines industries et prévoie une production à l’échelle industrielle pour 2024.

À moyen terme, l’objectif est de produire d’autres viandes, notamment en utilisant des solutions d’impression 3D. Lorsque la technologie le permettra, l’entreprise souhaite développer des produits qui se passent de base végétale.

Pour autant, la viande de laboratoire ne sera pas accessible au grand public de si tôt. Les autorités gouvernementales avancent avec prudence. Israël, les Etats-Unis et Singapour sont les seuls pays ayant légalisé la vente de ce genre de produit, d’où l’implémentation de la marque dans ces territoires. Fait notable : les Pays-Bas sont le premier pays Européen à avoir autorisé les tests de consommation, étape préalable à toute commercialisation. Aleph Farms a d’ailleurs déposé un dossier auprès de la Swiss Federal Food Safety and Veterinary Office en vue de pénétrer le marché Suisse prochainement.

Certains pays plus conservateurs pourraient être plus frileux quant à l’acceptation de ce nouveau type de viande. L’Italie, par exemple, a d’ores et déjà banni la vente de viande de laboratoire sur son territoire. Les lobbies de la viande pourraient aussi freiner l’implémentation de ce genre d’entreprises qui leur feront concurrence à long-terme si leur modèle prospère. Mais c’est bien là la principale interrogation : ce modèle est-il viable ? La production de viande cultivée en laboratoire est aujourd’hui coûteuse et se fait à échelle réduite.

 

Le statut de la viande de laboratoire

La viande de laboratoire pourrait aussi se révéler être un casse-tête… religieux ! En effet, la viande de laboratoire peut-elle être kasher, ou même hallal, puisqu’aucun animal n’est tué ?Aleph Farms a annoncé que David Baruch Lau, grand-rabbin ashkénaze, a considéré leur viande comme kasher, ouvrant la voie vers une potentielle certification officielle.

Il en est de même pour une éventuelle certification vegan/ vegetarian friendly. La création de viande en laboratoire laisse l’animal en vie, mais le prélèvement de cellules peut-être considéré comme invasif et irrespectueux pour les grandes ONG de défense des animaux.

Pour les investisseurs et nombreuses startups du secteur, la viande cultivée sera un produit clef de notre alimentation dans les prochaines décennies. Un optimisme confirmé par de nombreux chiffres du secteur. Le temps sera seul juge de la validité de ces projets qui doivent pour l’instant conquérir le cœur du publique pour espérer un jour atteindre les assiettes du plus grand nombre. Selon les pays, l’opinion publique est divisée : si 67% des américains disent être prêts à essayer la viande cultivée, seuls 10% des Français veulent tester ce genre de produit. Mondialement, une partie importante de la population est indécise ou ne connaît pas l’existence de la viande cultivée. C’est cette masse de potentiels consommateurs en devenir que les marques de viande cultivée en laboratoire devront convaincre pour faire avancer durablement leurs projets.